De toutes les "amourettes d'adolescence" que j'ai pu avoir, mes petites amies étaient toujours plus jeunes que moi. La seule qui ne l'avait pas été était Neela. Enfin, si l'on pouvait la compter comme petite amie... Notre situation était assez compliquée après tout : nous n'avions passé qu'une simple nuit ensemble, il y a dix ans de cela, une adorable petite fille était née de cette union, je n'avais découvert son existence et recommencé à parler à Neela que depuis quelques temps. Mais je dois bien avouer que, tout comme il y a dix ans, elle ne m'est pas - du tout - indifférente...

Un coup sec sur ma table me fit sortir de ma rêverie en sursaut. Mon patron était toujours délicat et très agréable quand il s'adressait à nous, pauvres petits journalistes dans la toute petite ville qu'était Arrowsic. Je le regardais avec des yeux hébétés, encore tiraillé entre mon rêve et la réalité de mon travail.

« T'es déjà à la bourre comme ça ! Remue-toi un peu au lieu de rêvasser !! »

Chef, oui chef ! En fait, je préférais rêvasser... Et puis j'étais tellement excité à l'idée de passer toute une soirée en compagnie de Neela que travailler m'était impossible pour le moment. Alors je quittais mon travail légèrement plus tôt que prévu, ayant finalement réussi à pondre l'article tant attendu par mon supérieur, et qui en fait était l'un des plus horribles que j'avais pu faire jusqu'ici. Mais il avait l'air d'aimer. Ou alors c'est peut-être que je suis trop perfectionniste. Dans tous les cas, j'étais parti vers dix-neuf heures, était rentré chez moi pour me changer un peu, enfiler une tenue plus présentable et plus "classe" aussi, puis était reparti pour le Jack's Lounge vers vingt heures. Par chance, j'avais pu trouver une place de stationnement près de l'entrée du bar ! J'entrais alors dans le bâtiment, ne cherchant même pas à attendre qu'un serveur viennent m'indiquer la table que je cherchais. Je parcourais la salle du regard, me demandant si Neela était déjà arrivée : effectivement, elle était dans un coin du bar, le menu dans les mains, apparemment dans une robe noire qui semblait lui aller à merveilles... Tout en affichant un petit sourire, je m'approchais de la table, jusqu'à me trouver derrière Neela. Elle ne m'avait ni vu, ni entendu arriver.

« Je me demande qui peut faire attendre une aussi jolie femme... »

J'avais à peine prononcé une phrase que Neela s'était retournée, affichant un immense sourire que je ne manquais pas d'admirer, et replaçant une mèche de ses cheveux d'une façon adorable. En fait, chaque geste qu'elle faisait me paraissait adorable, simplement parce que c'était elle qui le faisait. Parce que c'est elle, Neela. Affichant moi aussi un petit sourire, je me dirigeais vers ma chaise et m'installais face à elle. Je repensais alors soudain à la seule et unique nuit que nous avions passé ensemble... et je comprenais pourquoi j'avais voulu rattraper le temps perdu, avec Neela comme avec Carlie. J'avais été absent pendant les dix premières années de ma fille, j'avais raté tout ce que les parents attendent de voir chez leurs enfants : les premiers mots, les premiers pas... Un soir complet, j'avais réfléchis à ce propos, me disant que, pendant que je faisais la fête et que j'éclatais de rire avec des amis, Neela vivait probablement l'enfer de la mère célibataire contre son gré, lâchée par l'homme qui l'a mise enceinte. Ce n'était pas mon intention, j'étais juste jeune, j'ai eu peur que mes parents n'apprennent cette relation et lui collent un procès ou je ne sais quoi d'autre. J'ai eu peur pour moi aussi, parce que je venais de comprendre la gravité de ce que je venais de faire. Mais au fond, si cette nuit n'avait pas eu lieu, je n'aurais peut-être jamais eu de fille comme Carlie, et je ne serais peut-être pas ici, à dîner avec la femme que je considérais comme la plus belle du monde.

« Ça doit vraiment être un crétin ! »

J'affichais un nouveau petit sourire. Je ne lui en voulais absolument pas de ne pas m'avoir prévenu de l'existence de Carlie. Ou plutôt si, je lui en avais voulu au tout début. Puis quand j'ai compris quels étaient mes sentiments pour elle, cette rancune avait disparu comme elle était apparue ! Je crois bien que j'étais capable de tout lui pardonner. Mon sourire s'agrandit lorsqu'elle m'annonça qu'elle était heureuse de passer la soirée avec moi. Ce sourire signifiait clairement que c'était réciproque.

« Honnêtement ? J'ai terminé ma nuit au boulot. Mon patron n'a pas trop apprécié... »

J'émis un petit rire. Je n'en avais strictement rien à faire ce qu'il pensait. Et d'ailleurs, aujourd'hui, je n'avais pas du tout eu la tête à travailler : j'avais passé la journée à penser à la soirée que j'allais passer avec Neela. Et j'étais certain qu'elle allait être fabuleuse ! Tandis qu'un serveur arrivait vers nous avec deux menus, je gardais mon regard vers la jeune femme.

« Et toi ? Comment s'est passée ta journée ? »

Oui, la soirée allait se terminer beaucoup trop tôt, mais j'avais la conviction qu'elle allait se clore sur une note extrêmement positive, et rester longtemps gravée dans ma mémoire. J'avais à la fois envie de faire évoluer notre relation en un rien de temps et en même temps, c'était tellement agréable de faire durer le plaisir. Le simple fait de poser mes lèvres sur les siennes aurait été le symbole d'une consolidation de la famille que nous avions fondée malgré nous. J'avais une folle envie de toucher Félix, de prendre sa main comme le faisaient les couples attablés autour de nous. Je mourrais d'envie d'effleurer sa peau qui m'avait l'air tellement douce. Evidemment, j'étais consciente que ces envies n'allaient pas s'affaiblir avec l'alcool et la fatigue, bien au contraire.
Un ravissant petit bouquet de roses décorait le centre de notre table, et, comme pour occuper mes mains, je caressais délicatement leurs pétales tandis que Félix s'adressait à moi. Le sourire éclatant et sincère qui illuminait mon visage n'avait pas faibli depuis que Félix avait pris place en face de moi. Mes doigts étaient occupés mais je n'avais d'yeux que pour l'homme qui partageait ma soirée, et que je dévorais du regard derrière mes mèches blondes éclatantes. Plus les secondes passaient, et moins je ne pouvais ignorer que j'étais bel et bien amoureuse de cet homme. Après tout, nous étions liés à jamais grâce à Carlie, le fruit d'une amourette nocturne qui était maintenant en train d'évoluer en un véritable et très sincère amour. Du moins, je l'espérais au plus profond de moi.

« oh, c'est vendredi soir, on peut bien se lâcher un peu non ? » chuchotais-je à Félix en le scrutant d'un regard complice et d'une tendresse infinie. Comme deux enfants qui s'apprêtent à faire une grosse bêtise, j'étais penchée dans sa direction comme si je lui annonçais quelque chose de secret. Savourer une coupe de champagne n'allait certainement pas suffire à me pousser dans un état d'ébriété délabrant. J'espérais en revanche que cette petite dose d'alcool allait suffire à étouffer mon anxiété et la timidité qui y était liée, afin de laisser place à davantage de spontanéité avec Félix. J'allais certainement accompagner ma pizza d'un verre de vin rouge qui suffirait, mélangé au champagne, à me rendre suffisamment heureuse et sans complexe pour que je m'abandonne dans les bras de Félix à la fin de la soirée.
« au pire, si je tiens plus debout tu seras là pour me trainer jusqu'à chez moi, hein ? Et si ça t'arrive évidemment je t'aiderais aussi on se soutient mutuellement ! » m'exclamais-je en riant discrètement une seconde fois. Après avoir soupiré profondément, je poursuivis. « On est bien des parents indignes tiens ! Heureusement que Carlie n'est pas là. » dis-je en me mordant la lèvre inférieure après avoir levé les yeux au ciel. En réalité, nous étions des parents formidables. Félix venait quasiment tous les jours rendre une petite visite à sa fille, au grand bonheur de cette dernière, et bien entendu, j'étais extrêmement ravie de le voir moi aussi. Pour tout dire, j'étais toujours très impatiente de le voir franchir le seuil de ma maison, et de regarder ma fille courir avec joie dans les bras de son papa. Il ne manquait plus qu'une seule chose à mon bonheur : la venue définitive de Félix dans la grande maison que j'habitais et qui était d'ailleurs bien trop grande pour seulement deux habitantes. Oui, il me manquait sa présence, son soutien dans l'éducation de Carlie. Malgré tout, je ne voulais pas que les choses aillent trop vite, et surtout ne pas brusquer Félix qui devait surement avoir d'autres occupations en ce moment, notamment professionnelles.
Après avoir obtenu son accord, mon visage se tourna en direction du serveur qui attendait la finalisation de notre commande. « Pour moi ce sera une pizza, et … toi Félix ? » ajoutais-je en m'adressant à lui avec un sourire tout à fait charmant. J'étais loin d'imaginer que Félix avait commandé le même plat que moi, mais je pris les devants et annonça ma propre commande au serveur qui se tenait près de notre table.

Je n'avais jamais réussi à oublier Neela, et la nuit que j'avais passée avec elle. En fait, je n'ai pas vraiment cherché à oublier tout cela non plus. J'ai regretté de l'avoir laissée en plan que je l'ai fais, je déprimais de n'avoir aucun appel, même pas en absence, de sa part, puis après quelques temps j'ai fini par me dire qu'il était inutile de me faire trop d'espoirs. "De toutes manières, elle était sûrement trop âgée pour moi. C'est pour être pour ça qu'elle cherche pas à me contacter", avais-je dis à mon meilleur ami. Mouais. En réalité, j'avais repris ma vie d'adolescent de dix-sept ans : amis, fêtes, cours, rires... mais je n'avais jamais tiré un trait sur Neela. Sans savoir pourquoi, je me disais qu'elle allait revenir vers moi un jour. Et je ne m'étais pas trompé. Quoi que, des retrouvailles moins... brutales, dues à l'annonce de l'existence de Carlie, n'auraient peut-être pas été de refus. Mais j'avais retrouvé Neela, j'avais Carlie : ma vie est devenue encore plus belle qu'avant !

J'émis un petit rire à ce qu'elle venait de me dire. Oui, c'est vendredi soir ! Après tout, demain c'est le week-end, demain c'est grasse-matinée, donc pourquoi se priver de ce qui peut faire plaisir ? Neela avait déjà l'air plus à l'aise que lorsque je suis arrivé dans le restaurant. Il faut dire que je l'avais un peu surprise avec mon entrée ! J'adorais la voir comme ça, heureuse et souriante.

« On se soutient oui, comme ça si on tombe, on tombe à deux. »

Je lui adressais un clin d'œil complice accompagné d'un sourire. En fait, je m'imaginais la scène : nous ivres, accrochés l'un à l'autre. L'un tombe, et entraîne l'autre dans sa chute. De quoi avoir un bon fou rire !

« Des parents indignes ?? Meuh non ! En tout cas toi, tu es la meilleure maman du monde pour Carlie ! »

Je souris. Je le pensais réellement. Avoir réussi à l'élever comme elle l'a fait toute seule pendant dix ans, même si elle pouvait parfois avoir une aide extérieure de sa famille ou autre, c'était vraiment génial ! Le serveur patientait toujours à côté de nous, pendant que nous continuions notre discussion. Neela s'en rendit vraiment compte la première et annonça sa commande. À ma grande surprise, elle avait pris le même plat que moi.

« La même chose. Et donc, deux coupes de champagne aussi s'il vous plaît. »

Le serveur hocha simplement la tête et s'éloigna, nous laissant de nouveau tous les deux. Neela touchait toujours les pétales des roses déposées entre nous, et je profitais des rares moments où elle les regardait pour la dévorer du regard. Quoi que je ne pouvais pas vraiment m'en empêcher non plus quand elle me regardait. Je crois bien que je suis amoureux d'elle...

Serrée dans ma robe, je commençais cependant à me sentir à l'aise avec Félix. Nos regards se croisaient, mais plus le temps passait, et moins je baissais les yeux. Oui, ils plongeaient maintenant l'un dans l'autre durant de longues secondes tandis que je caressais les pétales dans mes doigts. Nous nous échangions des sourires complices. Mes joues étaient rouges, il faisait extrêmement chaud dans la pièce, d'autant plus que j'étais en compagnie d'un homme tout à fait séduisant. J'étais séduite par toutes ces éloges que Félix me faisait, notamment quant à l'éducation exemplaire que j'avais donné à Carlie. J'avais l'impression qu'il me regardait comme si j'étais une princesse, ou une reine. Ses yeux pétillaient, les miens aussi, surement. En tout cas, j'étais la mère de son enfant, et c'était déjà beaucoup. « T'es pas mal non plus dans le rôle du papa, enfin, je trouve que tu te débrouilles plutôt bien pour l'instant. » je lui rendis son clin d’œil. « Je compte bien te garder encore un peu. » Un sourire timide se dessina sur mon visage. Je voulais faire comprendre à Félix que mes sentiments à son égard s'étaient développés, et que je ne comptais absolument pas en rester là avec lui.

De ma place, j'apercevais déjà le serveur accourir avec un plateau sur lequel trônaient deux grandes coupes de champagne. Malheureusement, nos papilles devraient encore attendre avant de déguster ses bulles dorées. Attendre, puisque lorsqu'il arriva à notre hauteur, un homme se leva de sa table, dors à lui, et il le heurta si violemment que les coupes éclatèrent au sol, et sur mes cuisses. Je fis un mouvement de recul en sentant soudainement la fraîcheur du liquide se déverser sur ma peau. J'avais aussi eu peur de me blesser avec le verre tranchant des coupes qui étaient réduites en mille morceaux sous mes pieds et ceux de Félix. Je me leva de mon siège, afin de m'éloigner de ce champ de bataille. Le serveur s'empressa de s'excuser, et tandis qu'il ne cessait de trouver de nouvelles formules sympathiques pour obtenir mon pardon, il me tendit une serviette afin que je m'essuie. Aussitôt, le personnel du restaurant arriva avec l'artillerie lourde pour nettoyer la salle au plus vite. Le serveur me demandait sans cesse si tout allait bien, et me priait de l'excuser pour cet incident. « Non, 'vous en faites pas, ce n'est rien. » répondis-je en lui accordant un sourire timide. J'avais eu peur, mais finalement, c'était assez drôle. Cela rendait la soirée un poil plus pimentée, même si ma magnifique robe était tâchée et humide. Le serveur et l'ensemble du personnel disparut, et le sol fut nettoyé. En tant que femme distinguée et aimable, je n'avais pas rouspété auprès du serveur, qui n'y étais d'ailleurs pour rien dans la situation. Et puis, je n'avais pas vraiment envie de gâcher cette belle soirée qui s'annonçait avec Félix. Malgré tout, je restais très calme, sereine, souriante et faisant mine de maîtriser totalement la situation.
« Oh mais c'est pas vrai... J'ai vraiment pas de chance. » dis-je doucement en riant, tandis que j'observais ma robe encore bien imbibée de champagne. Mon regard se porta alors sur Félix, qui semblait ne pas en revenir. Les pizzas arrivèrent enfin sur la table, et deux autres coupes de champagne ne tardèrent pas à atterrir entières cette fois ci à côté de nos assiettes. J'attrapais alors la coupe dans ma main, les yeux pleins de tendresse, en attendant que Félix fasse de même. « à cette belle soirée, qui a failli tourner en catastrophe ! » dis-je avec un sourire enchanteur en tendant ma coupe de champagne vers la sienne.

Neela était une formidable maman. Honnêtement, je l'admirais d'avoir réussi à éduquer Carlie comme elle l'a fait, alors qu'elle était toute seule. Elle avait peut-être été aidée par sa famille ou ses amis, mais elle restait quand même celle qui l'éduquait, qui vivait avec elle tous les jours, et elle avait vraiment tout réussi. Non seulement j'admirais ce qu'elle avait fait, mais en plus je l'admirais physiquement et moralement. Bref, je crois bien que je l'aimais. J'émis un rire quand elle annonça qu'elle voulait bien me garder comme père de Carlie. Ce que je n'avais pas encore soupçonné, c'est qu'elle avait aussi une petite arrière-pensée...

« Oh merci, ça me touche vraiment que tu acceptes de me laisser voir Carlie. »

Je répondis à son clin d'œil par un autre. Nous parlions depuis notre arrivée, et le temps passait à une vitesse folle. Si bien que les coupes de champagne de l'apéritif arrivèrent déjà. Enfin arrivèrent est un bien grand mot... J'avais vu qu'un homme assis à la table à côté de la nôtre se levait d'un air bien décidé et j'eus juste le temps de dire :

« Atten... »

*...tion*, mais un poil trop tard. L'homme percuta le serveur de plein fouet, lui faisant renverser son plateau, donc les coupes de champagne, sur nous. Enfin, plutôt sur Neela, qui se leva de sa chaise en quelques secondes. Moi-même, j'avais reculé ma chaise comme un réflexe, avant de me lever. Le serveur se confondait en excuses, le client qui était responsable du carnage aussi, mais beaucoup moins. Les gens nous regardaient, étonnés, puis retournaient progressivement à leurs assiettes. Quant à moi, je n'en revenais pas. J'avais regardé Neela avec encore un peu l'air de celui qui ne comprend pas trop ce qui lui arrive.

« Tu es sûre que ça va ? Tu ne t'es pas coupée ? »

Je m'en fichais des coupes de champagne. Je voulais juste être certain que Neela ne s'était pas blessée avec le verre. Nous nous assîmes de nouveau, plus calmement cette fois, et elle annonça son manque de chance. Ce n'était pas de la malchance, c'était juste un andouille qui ne savait pas regarder autour de lui avant de se lever de sa chaise.

« Tu veux aller au toilettes ? Au moins tu pourras vraiment essuyer les dégâts... »

J'espérais qu'elle me réponde par l'affirmative. En fait, c'était un simple moyen que j'avais trouvé pour passer un moment vraiment seul avec elle, sans dizaines de clients ou de serveurs autour de nous. Je verrai bien sa réponse...

Dans tous les cas, de nouvelles coupes arrivèrent, accompagnées de nos pizzas. On ne pouvait plus vraiment appeler ça un apéritif, mais on fera avec ! Je tendis ma coupe vers celle de Neela et la fit tinter sur la sienne.

« Aux vraies retrouvailles alors. »

Je lui adressais un nouveau sourire. Une idée me traversa alors l'esprit, une idée qui ne venait pas vraiment de moi en fait.

« Dis-moi, je pourrais te voler Carlie pendant une après-midi ? Mes parents veulent absolument voir leur petite-fille et n'arrêtent pas de me harceler au téléphone pour savoir quand je la ramène. D'ailleurs, j'aimerais bien te kidnapper aussi en même temps, histoire qu'ils te voient au moins une fois. »

J'étais pratiquement sûr que sa réponse serait positive. D'autant plus que je voulais absolument que mon père la voit, car il n'arrêtait pas de me sortir "elle est trop vieille pour toi, qu'est-ce que tu vas encore chercher ???". J'avais juste envie de lui dire dans ces moments là "tu vas voir la soi-disante vieille, elle est encore très très bien". Mais je me retenais, je ne voulais pas qu'il l'imagine physiquement avant de la voir en réalité.

Les gens qui vivent dans leur petit monde, sans se soucier des gens autour d'eux, m'énervaient. C'était un peu le cas de l'homme qui s'était brusquement levé et avait percuté le plateau du serveur. Il était énervé, il n'a pas regardé, et finalement c'est Neela qui s'est pris les coupes de champagne sur la figure ! J'affichai cependant un petit sourire à la remarque de Neela. Au moins, elle le prenait bien, c'était déjà ça, et j'étais heureux que cet événement ne ruine pas toute la soirée.

Les gens nous regardaient toujours. Certains avec insistance, comme s'ils espéraient qu'un scandale allait éclater, d'autres un peu moins, juste surpris par ce qui venait de se passer. D'autres avaient déjà tourné le regard, ne cherchant pas à en savoir plus. Je voyais Neela qui se tortillait sur sa chaise, comme si quelque chose la gênait, et lui proposait alors d'aller aux toilettes, au moins pour qu'elle puisse "laver" le plus gros du champagne qui s'était répandu sur elle. Elle accepta, et nous nous levâmes ensemble pour nous diriger vers la petite pièce qui se situait dans le fond du restaurant. Nous entrâmes et je refermai la porte derrière nous. Je profitais alors de pouvoir lui parler dans un lieu calme et où nous étions uniquement tous les deux pour lancer le sujet de la visite de Carlie chez mes parents. Préparant un peu de papier toilettes que je lui tendais petit à petit, j'écoutais sa réponse.

« Je pense aussi. Et puis ça nous fera une solution en plus si jamais on a besoin de quelqu'un pour la garder. Ça évitera de payer une baby-sitter. »

Je souris. Je savais d'avance que mes parents seraient d'accords si jamais ils devaient garder Carlie. D'ailleurs, en plus de connaître Carlie, j'aurais aimé qu'ils connaissent Neela. C'est ce que je lui proposais alors qu'elle entrait dans une cabine de toilettes. Sa réponse me fit sourire de nouveau.

« Neela... Je ne vois pas pourq... »

Je fus coupé par un cri de surprise qui venait de sa cabine, puis un petit rire, légèrement nerveux. J'attendis qu'elle sorte, affichant un immense sourire.

« Euh oui je disais que je ne voyais pas pourquoi ils ne t'aimeraient pas. C'est idiot, personne ne peux faire ça. »

Il y eut un petit blanc, pendant lequel je gardais un léger sourire sur mon visage. Je la détaillais du regard, passant en revue son corps tout entier, me fixant ensuite sur son visage : ses yeux... et ses lèvres aussi. J'avais soudainement une terrible envie de l'embrasser... J'hésitai pendant un instant... puis finalement je n'avais rien fait. Ce n'était pas dans mon habitude de laisser paraître une certaine forme de timidité avec les femmes, mais c'est peut-être justement parce qu'elle n'est pas "une femme" : Neela, c'est "la femme", c'est celle que je veux avoir depuis dix ans déjà, celle qui est la mère de ma fille, celle que j'attends avec impatience de voir chaque jour. Bref, celle que j'aime.

« Allez, on y retourne ? »

J'ouvris la porte des toilettes et la laissais passer avant moi, en profitant pour poser ma main sur sa hanche, et nous retournâmes à notre place, de nouveau sous quelques regards intrigués.

J'avais été extrêmement touchée par la réaction de Felix lorsque je lui avais fait part de mon angoisse par rapport à ma rencontre avec ses parents. C'est pourquoi je n'avais pas su quoi répondre instantanément, mon côté timide reprenant alors le dessus. Je m'étais simplement contentée de le dévorer du regard, un sourire angélique sur mes lèvres, comme un signe de remerciement. Un long silence s'était alors installé entre nous, et j'avais bien remarqué que Felix avait voulu profiter de cet instant pour tenter un rapprochement, qui n'avait finalement pas abouti. J'ignorais ce qui l'en avait empêché, mais je faisais comme si de rien n'était. Aucun mot ne s'était échappé de ma bouche, mais mon sourire en disait long. En sortant de la pièce, je fus agréablement surprise de sentir la main de Felix se poser sur ma hanche. Nous étions donc calmement retournés à notre table, sur laquelle les serveurs avaient apporté deux énormes pizzas.

« Woaw, eh bien, bon appétit ! avec ça on ressort avec la faim, je comprends rien.  » dis-je en scrutant ma pizza avec de gros yeux ébahis avant de lui tendre un petit sourire amusé. Elle avait l'air vraiment succulente. Je m'empressai d'en couper une petite part.
« et donc tu as prévu de nous kidnapper quand avec Carlie ? Histoire que je me prépare un peu. » un sourire malicieux se dessina sur mon visage. Je voulais simplement tout mettre en œuvre pour faire bonne impression, et ne surtout pas laisser une mauvaise image de moi. J'étais persuadée que, malgré eux, ses parents allaient forcément me juger, physiquement et intellectuellement. C'était obligé, et quelque part, j'appréhendais beaucoup cette leur rencontre. Je savais que je n'étais pas la personne idéale pour Felix notamment par la petite différence d'âge qui nous séparait. Mais surtout, je l'avais emprisonné dans ce rôle de père sans qu'il n'ai eu le temps de s'y préparer. C'est pourquoi ses parents devaient certainement avoir quelques réticences à mon égard, et donc je me devais de les persuader que je n'étais pas la femme dépravée et puérile qu'ils auraient pu s'imaginer en ayant connaissance de mon passé. « d'ailleurs, il faudra que tu rencontres les miens aussi. Ça fait un petit moment que j'y pense. Ils me mitraillent de questions. » dis-je après avoir émis un léger rire. Oui, j'y avais pensé, mais j'avais beaucoup hésité à aborder le sujet puisque je n'étais pas certaine que cela plaise à Felix. Je ne voulais pas lui faire peur et qu'il croit à un quelconque engagement envers moi par le biais de cette rencontre. Mais puisqu'il avait entrepris cette démarche le premier, je pouvais alors être rassurée et lui proposer de même de mon côté. J'étais certaine qu'il allait leur plaire, que son sérieux allait rassurer ma mère et que petit côté joueur allait par ailleurs beaucoup amuser mon père.

Pourquoi j'avais renoncé au dernier moment à l'embrasser ? Aucune idée. Peut-être que mon inconscient avait décidé que ce n'était pas encore le bon moment, qu'il préférait terminer la soirée sans aucun autre problème que les coupes de champagnes renversées, et qu'il voulait garder les sentiments pour l'After. Justement, nous retournâmes dans la salle du restaurant pour poursuivre cette soirée. Arrivés à notre table, deux grandes pizzas atterrirent devant nous. Je ne pus m'empêcher de laisser échapper un petit rire en voyant Neela ébahie devant sa pizza.

« Bon appétit ! »

Notre conversation dévia sur la proposition que je lui avait faite dans les toilettes : rencontrer mes parents avec Carlie. Neela voulait savoir pour quand j'avais prévu ce plan, et je me pris quelques secondes de réflexion.

« Tu as quelque chose à faire demain ? »

Je souris légèrement. Après tout, inutile de se préparer des jours et des semaines à l'avance, autant faire les présentations le plus vite possible. Ce moment serait alors passé et nos vies reprendraient comme avant la rencontre. Même si j'avais quelques doutes par rapport à ma mère, qui en veut déjà un peu à Neela de lui avoir "volé son fils chéri", j'étais certain que cette rencontre allait très bien se passer. Après tout, comment pouvait-on ne pas aimer Neela ? Finalement, elle me proposa aussi de rencontrer ses parents dans peu de temps. Après tout, autant faire un petit échange !

« Tu n'as qu'à me dire quand et j'arrive ! »

Entre deux paroles, je dévorais ma pizza, qui était vraiment succulente. J'avais d'ailleurs terminé de manger le premier, et je profitais d'un petit moment de silence entre nous pour de nouveau la détailler du regard. Je me demandais comment j'avais pu la "laisser tomber" il y a dix ans, même si c'était en partie pour ne pas qu'elle ait de problèmes avec mes parents. Pourquoi ne m'avait-elle pas appelé quand elle avait appris qu'elle était enceinte ? Pourquoi même pas quelques années après, un ou deux ans encore... Mais dix ans ! Je remarquais que j'étais un peu trop parti dans mes pensées et que ça allait finir par se voir de l'extérieur.

« Franchement, tu n'as aucun soucis à te faire pour mes parents. Dès qu'ils te verront, le peu de préjugés qu'ils avaient sur toi s'en iront. Fais-moi confiance. »

« Ah non ! demain, je suis en repos. Je suis donc toute à toi Felix. » dis-je tandis qu'un ravissant sourire vint illuminer mon visage. J'espérais qu'il comprendrait le fond de ce propos. Oui, j'étais prête à le suivre n'importe où à partir de maintenant. Ma confiance en lui grandissait, et mes sentiments n'avaient jamais été aussi forts qu'à cet instant. Felix me confia qu'il était tout à fait prêt et disposé à rencontrer mes parents, ce qui me rassura. Je fis mine de réfléchir au moment qui serait le plus opportun pour leur rendre cette petite visite surprise.

« Le plus vite serait le mieux. Dimanche prochain te conviendrait ? En tout cas, je peux te dire qu'ils t'attendent impatiemment, et s'imaginent même tout un tas de trucs idiots, c'est assez pénible. » échappais-je en levant les yeux au ciel après avoir ri. Mes parents étaient très rêveurs, et adoraient se faire des films. De plus, ils savaient pertinemment que leur fils ne rencontrerait pas une fiancée de sitôt, après s'être engagé dans l'armée. Ils fondaient alors tous leurs espoirs sur moi, leur fille chérie, et rêvaient de me voir un jour dans ma grande robe blanche, au bras de mon père. Je leur répétais que l'heure n'était absolument pas au mariage, loin de là, et qu'ils devaient arrêter de rêvasser pour revenir un peu sur terre. Je les voyais déjà regarder Felix avec de grands yeux admiratifs, comme si Dieu lui-même avait franchi le seuil de leur maison.

« Oh, tu es adorable. » mon coeur s'était soudainement et follement emballé sous ma poitrine. Je ne pus m'empêcher de rougir très légèrement. Ses mots me touchaient, d'autant plus qu'ils paraissaient extrêmement sincères de sa bouche. En revanche, j'éprouvais toujours une certaine appréhension, malgré ses remarques ô combien agréables et rassurantes. C'est pourquoi je lui confia l'angoisse qui persistait en moi. « Mais je pense qu'ils s'imaginaient tout autre chose pour la mère de leur petite-fille. Une femme beaucoup plus jeune, sûrement. » dis-je tout en passant une main sous ma chevelure dorée, pensive, les yeux perdus dans le vide. Oui, ils auraient certainement préféré rencontrer une jeune femme vive, fraîche et active. Non pas que j'étais complètement passive et grabataire, mais j'avais perdu une partie de ma joie de vivre, de ma vivacité, depuis que j'avais du faire face à cette grossesse imprévue. En somme, je voyais ma jeunesse disparaître, s'éloigner à petit feu. Puis, j'avalai une gorgée de champagne avant de le regarder tout en souriant. J'avais le sentiment que Felix me comprenait comme jamais personne ne m'avait comprise. Nous étions sur la même longueur d'onde, et surtout, il avait une façon de me regarder qui ne me laissait absolument pas indifférente. Nous avions terminé nos pizzas, et j'étais déjà complètement rassasiée.

« Est-ce que tu as encore un peu de place pour le dessert ? » lui demandais-je en arquant un sourcil, le sourire aux lèvres. En fait, je n'avais cessé de sourire de toute la soirée. J'étais tellement heureuse, et en si bonne compagnie, que je ne pouvais m'empêcher de laisser paraitre très largement mon bonheur.

J'affichais moi aussi un immense sourire à l'idée qu'elle puisse rencontrer mes parents dès le lendemain. Il faut dire que, cette semaine, j'avais eu tellement de travail que je n'avais pas pu venir tous les jours chez elle comme je le faisais à l'habitude, pour voir Carlie, mais aussi pour voir Neela. J'avais hâte qu'ils mettent enfin un visage sur la Neela dont je ne cessais de parler lorsque j'allais chez eux. En échange, j'acceptais bien sûr de rencontrer ses parents. Peut m'importait le jour en fait, si je devais prendre un jour de congé rien que pour cela, je le ferais. En fait, je crois que je pourrais faire n'importe quoi pour Neela.

« Pas de soucis ! Et quel genre de trucs idiots ? »

Je souris, me demandant de quoi elle pouvait bien parler. Qu'est-ce que ses parents pouvaient s'imaginer à mon propos ? Et puis, était-ce positif ou négatif ? Si ça se trouve, c'était eux qui allaient me détester d'avoir "abandonné" leur fille dix ans plus tôt. Une fois ma pizza terminée, j'avais réfléchi un instant, tout en la regardant. Finalement, la conversation était revenue sur mes parents. Oui, j'étais vraiment certain qu'ils allaient l'adorer. Ma mère avait bien quelques préjugés sur elle, celle qui lui avait "volé son fils chéri". Mon père se demandait pourquoi je parlais toujours d'elle, ce qu'elle pouvait avoir de si particulier. Ils allaient très vite comprendre, tomber littéralement amoureux de leur petite fille, et remarquer pourquoi j'aimais tant Neela. J'émis un petit rire à ce que cette dernière dit.

« Eh ça va, tu n'es pas non plus un ancêtre ! »

J'avais parfois l'impression que Neela se dévalorisait, alors qu'elle n'avait aucune raison de le faire. Elle était une très bonne maman, avec un caractère et un physique de rêve. Pourquoi devait-elle douter de sa beauté ou d'autre chose ?

« Si tu en as encore une, alors je devrais bien en trouver aussi. »

Je terminais ma coupe de champagne, tout en regardant Neela qui touchait toujours les pétales des fleurs qui étaient entre nous.

« Tu as pris la nounou jusqu'à quelle heure ? »

J'espérais qu'elle avait pris une bonne marge, car je n'avais pas envie de la laisser comme ça. J'avais même presque envie de lui demander de rester toute la nuit, histoire que l'on puisse être rien qu'à deux.

« Oh, tu auras bientôt l'occasion de le découvrir toi-même, rassures-toi » lui dis-je doucement après avoir poussé un petit soupir. Oui, Félix allait bientôt se rendre compte que ma famille fonde énormément d'espoirs sur lui. Ce qu'ils ne parvenaient pas à saisir, c'était la fragilité de notre situation. Rien n'est aussi simple dans la vie, et en particulier cette relation, précieuse mais délicate, que j'ai avec le père de ma fille. Malheureusement, ou heureusement, je ne sais pas, mais Félix allait devoir subir un interrogatoire digne d'une phase d'instruction judiciaire. Le but était évidemment d'appréhender Félix et de le tester un peu pour savoir s'il pouvait définitivement faire partie de la famille. Je me doutais que Félix allait réussir cet examen, et même haut la main ! mais je ne voulais pas brusquer les choses, j'étais même prête à conditionner et à maîtriser mes parents avant la rencontre afin qu'ils calment leurs ardeurs.

Je ris à entendre les commentaires de Félix. Un large sourire s'était dessiné sur mes lèvres. Mes prunelles pétillaient, j'avais sûrement bu un peu trop de champagne. Félix me rassurait, même si les failles enfouies en moi n'étaient pas encore prêtes à se refermer. Félix avait cette façon de relativiser qui me plaisait. Je me rendais compte que c'était un homme plutôt positif, contrairement à moi, qui aurait tendance à me dévaloriser et à faire des problèmes quotidiens un véritable fardeau source de stress. Le serveur nous rejoint enfin pour débarrasser nos assiettes vides, puis nous proposa des desserts. Je me tourna vers lui pour lui répondre, après avoir pris quelques secondes pour réflèchir : « Je prendrais un sorbet à la framboise s'il vous plaît, merci. » une glace, rien de tel pour faire passer cette énorme pizza qui pesait très lourd sur mon estomac !

Quand Félix me demanda jusqu'à quelle heure la nounou gardait Carlie, je pris un air plus sérieux. Je ne comprenais pas vraiment pourquoi il me demandait cela. Mes sourcils se froncèrent légèrement. Sans doute voulait-il prolonger la soirée quelque part, ou peut-être qu'au contraire, il devrait partir plus tôt. Je n'en savais rien pour le moment. « Eh bien, je lui ai dis de rester jusqu'à au moins vingt-trois heures, mais je peux lui envoyer un message si tu veux... » dis-je en commençant à me baisser pour attraper mon sac à main sous la table.

Je lui lançais un regard interrogateur, accompagné d'un sourire, à sa réponse. Qu'est-ce que ses parents pouvaient bien dire sur moi ? Si ça se trouve, ils avaient déjà des appréhensions sur moi, peut-être qu'ils pensaient que je ne correspondrais pas du tout pour leur fille... Et puis après tout, je n'étais pas encore officiellement (ni même officieusement) avec Neela, même si j'espérais que notre relation évolue vers le positif à la fin de la soirée. Je regrette tellement de l'avoir laissée il y a dix ans, je n'ai plus du tout envie de la laisser partir, de m'éloigner d'elle et de Carlie. Et peu importe ce qu'il se passe chez ses parents, j'espérais juste qu'elle reste toujours proche de moi, pour que l'on passe encore du temps ensemble et que je puisses voir Carlie. En attendant la fameuse rencontre, je profitais de la soirée pour la couvrir de compliment, la rassurer sur son physique, qui était très très loin d'être désagréable.

« Un au citron pour moi s'il vous plaît. »

Le serveur s'en alla rapidement vers les cuisines avec nos assiettes vides. Je voulais ensuite savoir jusqu'à quelle heure Neela avait pris la nounou pour garder Carlie. Elle m'avait à peine répondu qu'elle avait dirigé sa main vers son sac, probablement pour attraper son téléphone. Vingt-trois heures... Il était déjà presque vingt-deux heures... Je crois bien que je n'arriverais pas à la lâcher dans une toute petite heure.

« Et cette jeune demoiselle ne pourrait pas rester un peu plus ? Je paierai les heures en plus. »

J'espérais qu'elle le pourrait, parce que j'avais envie de rester avec Neela, de terminer ma soirée avec elle, peut-être même de tenter quelque chose. En attendant, je continuais de l'observer, de la détailler. Elle était indéniablement belle.

Mon téléphone en mains, je scrutais Félix du regard en attendant une réponse de sa part, un petit sourire perché sur mes lèvres. Il me répondit qu'il désirait que la nounou garde un peu plus longtemps Carlie que prévu. Cela ne me dérangeait pas du tout. Bien au contraire, j'adorais passer du temps avec Félix. C'était l'occasion rêvée de prolonger encore un peu cette magnifique soirée, qui, j'en étais certaine, allait longtemps hanter mes pensées. Il m'annonça qu'il désirait payer les heures supplémentaires de la nounou, et je ne pus m'empêcher de retenir qu'il avait prononcé "les heures" .. je me réjouissais à l'idée de pouvoir passer encore plusieurs heures à ses côtés. Le dîner s'achevait déjà; j'avais l'impression qu'il avait passé à une vitesse de folie. « T'embête pas avec le paiement, c'est moi qui règle tout, et on ne discute pas monsieur Moorgate. » avais-je déclaré d'un air faussement sévère en pointant mon doigt vers lui avant de lui offrir un de mes plus jolis sourires. A voir le sien, Félix avait l'air de se plier à mon "commandement" avec douceur. J'avais un de ces sens des affaires avec Félix, une vraie businesswoman ! Je m'empressai d'aller dans mon répertoire pour trouver le nom de la nounou, puis de lui envoyer un message lui demandant poliment de bien vouloir rester un peu plus longtemps que prévu. « et voilà, c'est envoyé ! Si la petite voulait sortir en boîte ce soir, je crois que c'est raté pour elle. Mais bon, quand on veut des sous il faut apprendre à se sacrifier ! » dis-je en reposant mon téléphone sur la table avant de finir ma troisième coupe de champagne de la soirée. Mes pommettes s'étaient colorées de rose, et j'avais vraiment chaud. En même temps, je me sentais très à l'aise. Oui, il semblait que l'alcool m'avait largement aidée à surmonter mon stress lors de cette soirée. Le serveur vint nous apporter nos coupes de glace, de quoi me rafraîchir un peu et faire descendre la température.

« Je serais curieuse de savoir où tu as décidé m'emmener durant ces "heures en plus" ... » lui avais-je confié d'une voix suave, légèrement engourdie par la fatigue et l'alcool. Mes yeux pétillaient, mais semblaient manifester quelques signes de fatigue. J'avais hâte de découvrir sa réponse. Un sourire enchanteur était apparu sur mes lèvres. J'espérais que cette nuit allait nous permettre d'abandonner l'espace de quelques heures notre rôle de parents.

J'espérais que la nounou de Carlie n'allait pas vouloir à tout prix s'en aller à l'heure prévue au départ, parce que je n'avais aucune envie d'écourter ma soirée avec Neela. Mais en voyant le sourire de Neela, elle paraissait certaine qu'il n'y aurait aucun problème. Je voulais même payer les heures en plus (et j'avais l'intention de m'arranger pour payer le tout, pas seulement les heures supplémentaires), mais Neela protesta. J'ouvris la bouche pour tenter de protester à mon tour et elle me menaça du bout du doigt. Je refermais alors la bouche en affichant un petit sourire. Après tout, je payerai le repas de ce soir. Enfin j'espère que j'y arriverai... Je n'arrivais pas souvent à avoir le dernier mot avec Neela. En fait, je crois que j'essayais de la laisser faire ce qu'elle voulait pour lui faire plaisir. Mais il était hors de question qu'elle paie tout ! D'autant plus que ça m'enlève mon côté gentleman !

« Faut voir le bon côté des choses, on lui apprend la vie ! Travailler plus pour gagner plus. Il va falloir qu'elle s'y habitue. »

Je lui adressais un clin d'œil complice. Après tout, ce n'était qu'une soirée, pas une semaine. Neela voulait finalement savoir où je pensais l'emmener après le restaurant. Eh bien, c'est une très bonne question...

« Je peux laisser planer le suspens ? Non parce qu'en fait, j'en ai aucune idée moi-même. On se laissera guider par nos pas ! »

J'affichais cette fois un grand sourire, comme celui d'un enfant qui venait d'apprendre qu'il allait à Disneyland. Je terminais ma glace, qui était déjà arrivée depuis un bon moment et j'attendis que Neela ait terminé la sienne.

« Là tu ne m'auras pas : c'est moi qui paie. »

Sans lui laisser le choix, je demandais l'addition au serveur et le payais dès qu'il revint avec sa machine à carte bleue. Nous étions encore restés dans le restaurant quelques minutes, puis j'avais finalement demandé à Neela :

« Ça te dit qu'on y aille ? Qu'on se laisse guider par nos pas. »

J'émis un petit rire tout en attendant sa réponse.

«  ça tombe bien, j'adore les imprévus. » lui lançais-je d'un air mystérieux. Finalement, c'était aussi bien comme cela. Il n'y avait rien de mieux que de se laisser guider par nos pas, et laisser le hasard faire les choses. Aucun risque d'être déçue ! Je terminais ma glace qui n'avait d'ailleurs plus vraiment l'air d'une glace mais plutôt d'une crème à tel point il faisait chaud dans la pièce.

Sans que je n'ai pu me rendre compte de quoi que ce soit, Félix régla le repas. A peine avais-je eu le temps de lire le message de la nounou me répondant que cela ne la dérangeait absolument de rester quelques heures de plus, que je vis le serveur repartir avec sa petite machine à carte bleue en relevant la tête. J'observai Félix d'un air surpris, le temps de comprendre qu'il venait de me devancer.
« Merci beaucoup. » Un sourire sincère illumina mon visage. J'appréciais beaucoup son geste, qui était, si l'on réfléchit bien, quelque peu logique. Mais quel gentleman !

Nous étions donc sortis du restaurant. Il faisait presque nuit, et l'air était devenu beaucoup plus frais qu'en début de soirée.
«  Oh ça s'est rafraichi on dirait... » dis-je en passant mes mains sur mes bras. Ma tête tournait légèrement, surement encore trop imbibée par l'alcool. Apparemment, la pizza n'avait pas réussi à tout éponger ! Nous commencions à marcher sur le trottoir et je passa une main sur mon front. « en tout cas, pour l'instant, c'est plutôt le champagne qui est en train de guider mes pas. » échappais-je en riant nerveusement. Oui j'avais le sentiment de ne plus vraiment avoir la maitrise de mes jambes durant quelques secondes, mais je n'étais pas non plus ivre morte. La ville était très silencieuse à cette heure-ci. On ne croisait pas grand monde. Les réverbères éclairaient la rue d'une lumière jaune un peu vieillotte, mais c'était tout ce qui faisait le charme et la beauté du lieu. Nous arrivions à hauteur du petit pont en bois qui surplombait la rivière. En le traversant, on accédait à un petit parc très bien entretenu et fleuri. J'avais l'habitude d'y emmener Carlie les mercredis après-midi quand elle n'avait pas classe afin qu'elle se défoule un peu sur l'aire de jeux avec ses amies.
J'avais ralenti un peu le pas pour contempler cet endroit tout à fait calme et apaisant. Un sourire était apparu sur mes lèvres et je n'avais finalement pas pu m'empêcher de m'arrêter pour m'accouder au pont un moment, histoire de savourer l'instant présent.

« Cette ville a un charme fou, et encore plus la nuit. Tu ne trouves pas ? »

J'émis un petit rire. Elle aimait les imprévus ? Tant mieux ! Étant donné que je ne savais pas vraiment comment se terminerait la soirée, ou plutôt où se terminerait la soirée, il fallait qu'elle s'attende à une surprise. Je profitais du moment où elle répondait à la baby-sitter, la tête baissée vers l'écran de son téléphone portable, pour payer le dîner. Elle m'en remercia, et je lui adressais un sourire plus que chaleureux. Nous nous levâmes finalement de nos chaises, j'enfilais ma veste rapidement puis nous sortîmes du Jack's Lounge. À peine la porte ouverte, un vent frais se rua sur nous. Neela le remarqua encore plus que moi puisqu'elle était simplement en robe. Sans même lui en faire la proposition, j'enlevais ma veste pour la poser sur ses épaules. Je n'avais pas vraiment froid, et même si c'était le cas, on est gentleman ou on ne l'est pas ! Sa remarque me tira un petit sourire.

« Préviens-moi avant de tomber. »

Pourtant, elle n'avait pas pu tant que ça. Elle ne devait probablement pas très bien tenir l'alcool. Il y eut un petit silence entre nous : pas du tout pesant, au contraire. Je regardais autour de moi, remarquant qu'au fond, j'avais eu raison de rester à Arrowsic. J'avais déjà hésité à aller travailler sur New-York, persuadé d'avoir plus de travail dans une grande ville comme la Grosse Pomme. Mais est-ce que j'aurais eu ce cadre là ? Est-ce que j'aurais été dans un lieu si calme, où tout le monde se connaît, où la plupart des gens se sentent bien ? Une chose est sûre, si j'étais parti à New-York, je n'aurais peut-être pas retrouvé Neela et Carlie. Neela n'aurait sûrement pas réussi à me retrouver. Elle s'arrêta pour aller s'appuyer sur le pont. Je la suivis, un peu plus lentement, puis arrivais aussi à son niveau, plongeant mon regard dans le reflet de la Lune qui se reflétait déjà sur l'eau de la rivière.

« Oh si. C'est pour ça que je ne regrette absolument pas de ne pas être parti. Enfin, ce n'est pas la seule raison... »

Je lançais un petit regard vers elle, retrouvant la même envie que celle qui m'avait prise dans les toilettes du restaurant : l'embrasser. Je n'étais pas du tout timide d'habitude, alors je ne sais pas pourquoi j'hésitais avec Neela. Peur qu'elle ne ressente rien pour moi et qu'elle veuille juste me voir pour que Carlie ait un père ? Peut-être... En tout cas, il allait falloir que je tente quelque chose, et ce cadre me semblait parfait.

Félix se comportait comme un gentleman avec moi; j'étais extrêmement touchée par toutes ces petites attentions qu'il manifestait à mon égard. En sortant du restaurant, il avait délicatement posé sa veste sur mes épaules, réchauffant alors mon corps tout entier. Je l'avais gentiment remercié. Plus le temps passait, et plus je me sentais bien avec lui. Je crois bien que l'idée de vivre avec lui ne me dérangeait aucunement et me motivait de plus en plus. Cette soirée avait été la confirmation de ce que je ressentais voilà maintenant plusieurs mois pour le père de ma fille. Je ne voulais absolument pas qu'il aie peur de s'engager, qu'il redoute ma réaction; puisque je n'attendais qu'une chose : qu'il m'aime autant que je l'aime. Je souhaitais tout simplement qu'il se sente en confiance. Quant à moi, j'avais une certaine appréhension puisque je craignais que Félix pense que je m'intéressais à sa personne par pur intérêt pour le développement personnel de notre fille. Certes, c'était essentiel pour Carlie de connaitre son papa et de partager des moments avec lui, mais ce n'était absolument pas la principale raison. Je ne faisais qu'écouter mon coeur, qui semblait me convaincre que Félix était bel et bien l'homme de ma vie. J'en étais certaine; et puis, il avait été le seul homme à véritablement compter dans ma vie, après mon père.
Sur le pont, alors que je contemplais le reflet de la lune dans l'eau; Félix m'interpella, avec une allusion qui ne me laissa absolument pas indifférente. Je sortis alors de ma rêverie, pour me tourner dans sa direction. Il me regardait amoureusement. Je crus pendant un moment sentir mon cœur exploser sous ma poitrine. Je pris quelques secondes pour reprendre doucement mes esprits, avant de faire mine de réfléchir en levant les yeux au ciel.

« Ah oui ? laisse moi réfléchir ... je crois bien que c'est aussi pour cette autre raison là que je reste. » un petit sourire complice apparut au coin de mes lèvres. Il y eu un long silence pendant lequel je ne pus m'empêcher de me rapprocher de lui, et de caresser doucement sa joue de ma main. Mes yeux ne voulaient plus lâcher les siens. Il était beau, et tellement charismatique. Je m'en étais bien sûr rendue compte bien avant cette soirée, mais, cet instant était si magique, que j'avais l'impression de revivre notre première rencontre. Après tout, c'était un renouveau, une toute nouvelle vie qui commençait. J'avais une terrible envie de l'embrasser; d'ailleurs je ne savais pas vraiment ce qui me retenait. Quelque part, j'attendais que Félix prolonge le premier pas que j'avais effectué en effleurant pour la première fois depuis bien longtemps son visage. Mon cœur s'affola sous ma poitrine, je vivais un véritable conte de fées. Félix m'enchantait, j'en étais follement amoureuse, tout simplement.

Je regrettais d'être parti le jour où j'avais rencontré Neela. Le seul jour où je l'avais vu avant ces derniers jours en fait. Je ne l'avais pas fait, peut-être que nous nous serions revus, peut-être que nous serions ensemble depuis dix ans déjà, et que j'aurais connu les premiers pas, les premiers mots de Carlie. Heureusement, aujourd'hui, je l'avais retrouvée. Je pouvais regarder Neela autant que je le voulais, et je ne m'en privais pas. Depuis le début de la soirée, je n'avais cessé de la dévorer du regard, sans savoir si elle s'en était rendu compte. Je cherchais de plus en plus à me rapprocher d'elle, posant ma veste sur ses épaules en sortant du restaurant et faisant un lourd sous-entendu sur la raison qui m'avait aussi poussé à ne pas partir d'Arrowsic. Sa réponse me tira un petit sourire. Elle avait la même raison ? C'était plutôt bon signe !

J'avais une terrible envie de l'embrasser, de la prendre dans mes bras et de ne plus jamais la lâcher. Elle s'approcha de moi, puis posa sa main sur ma joue en plongeant son regard dans le mien. Moi qui essayais de me retenir de l'embrasser depuis le début de la soirée, avec ce regard c'était impossible. Je passais moi aussi ma main sur sa joue, puis dans ses cheveux, que je glissais derrière son oreille. Impossible de résister : je m'approchais doucement de son visage jusqu'à poser mes lèvres sur les siennes. Cela faisait dix ans que je rêvais de ce moment et le voilà enfin réalisé. J'avais envie de rester là à l'embrasser pendant des heures et des heures, de reste avec elle, avec celle que j'aimais plus que tout, même si j'avais pensé que je devais l'oublier et qu'elle ne reviendrait jamais. Je me reculais finalement après quelques instants et la regardais de nouveau en affichant un petit sourire.

« Je pense que j'ai bien fait de ne pas partir. »

Je laissais ma main rejoindre la sienne et recommençais à avancer, lui tenant donc la main.

« Si tu as froid, on peut aller chez moi, plutôt que de errer dans les rues. »

Je souris de nouveau, attendant sa réponse avec impatience. En fait, j'avais envie qu'elle me dise qu'elle était d'accord, parce que j'avais envie d'être avec elle, uniquement avec elle.

Mes yeux se fermèrent lorsque les lèvres de Felix se posèrent doucement sur les miennes. J'avais tant espéré vivre ce moment, j'aurais voulu qu'il dure encore plus longtemps. Alors je l'avais savouré, ses lèvres, son parfum, et ses mains qui glissaient le long de mon visage. En l'embrassant, j'avais passé mes bras autour de son dos pour me rapprocher davantage de lui. Jamais nous n'avions été aussi proches depuis dix ans. Honnêtement, je ne pouvais pas rêver mieux. J'avais beaucoup de mal à réaliser ce qu'il se passait à tel point j'avais attendu cet instant.

« Je pense aussi que c'était un très bon choix. » répondis-je en lui tendant un sourire sincère. De toute façon, même si tu décidais de partir d'ici, je te suivrais avec Carlie. Tu ne te débarrasserais pas de nous comme ça tu sais. » lui confiais-je en affichant un petit sourire amusé. Mes yeux brillaient d'amour, de joie, et ne cessaient de dévorer son visage, de l'admirer. Je crois que je n'aurais pas pu supporter que Felix me laisse à nouveau; qu'il parte loin de moi sans ne jamais plus me donner aucune nouvelle comme il y a dix ans. Heureusement, cela avait peu de chance d'arriver puisque nous étions désormais unis, et qu'il venait de me prouver que mes sentiments à son égard étaient bien réciproques. J'étais rassurée. Carlie allait d'ailleurs bientôt découvrir que ses parents étaient amoureux et enfin unis, bien qu'elle se doutait de plus en plus qu'il se passait un petit quelque chose entre nous.
Après m'avoir embrassée, Felix entreprit de poursuivre cette balade nocturne romantique, main dans la main cette fois-ci. Je me sentais tellement bien à ses côtés. Quand il me proposa de rentrer chez lui, cette idée me fit plaisir. Il était hors de question que la soirée se termine si tôt, puisqu'elle avait si bien commencé.

« Oui ! on sera mieux chez toi que dehors à cette heure là. » Il n'y avait pas grand chose à faire dans les rues; et puis je voulais me retrouver seule avec lui, juste Felix et moi, dans un endroit calme et à l'abri des regards. De toute façon, l'air se rafraîchissait de plus en plus. La veste de Felix commençait à ne plus faire son effet; mais au fond, je m'en fichais. Je pouvais bien attraper la crève, tant pis, le monde pouvait même s'écrouler .. tant que je restais avec Felix, c'était l'essentiel pour moi. J'avais hâte de découvrir son lieu de vie, d'entrer dans son quotidien. Je n'avais pas souvent eu l'occasion de franchir le seuil de sa porte, puisque je déposais et venais chercher Carlie généralement en coup de vent à cause de mon travail. « Du moment que tu as du chauffage !  » échappais-je en souriant alors que ma main libre vint caresser le bras de Félix qui tenait mon autre main. Nous avancions alors dans la rue, seuls en pleine nuit, jusqu'à arriver à l'entrée de son charmant petit appartement où Felix chercha ses clés. J'enlevai la veste de mes épaules pour la mettre sur mon bras.