Lyssandra & Lily

De l'argenterie sous la voiture.

Trois. C’est le nombre d’aller-retour qu’il avait fallu à Lily pour ramener toutes les affaires que récupérait la boutique d’antiquité. Un couple venait de racheter une vieille maison en ville. La cave et le grenier étaient plein de vieilleries. Ils avaient fait appel à la boutique d’antiquité pour se débarrasser de tout ça. En tout normal sa patronne faisait appel à un service de location de camion, mais cette fois-ci plus un seul de disponible. Lily avait donc pris la place du camion avec sa mini-voiture de ville. Autant vous laissez deviner, son tout petit coffre ne pouvait pas contenir beaucoup de choses. Elle avait donc fait des aller-retour. Au moins, on lui offrait le plein d’essence. Heureusement qu’elle avait sa voiture. Un cadeau de sa mère lorsqu’elle avait annoncé vouloir vivre avec Chloé. Lianne avait tenté de couvrir sa fille de cadeaux. C’était soit une tentative de l’acheter pour qu’elle reste, soit un moyen de s’assurer qu’elle ne manquerait de rien. Lily aimait croire à seconde option. Elle avait refusé la plupart des cadeaux de sa mère, mais la voiture… Elle n’avait pas pu dire non. Elle rêvait depuis si longtemps d’en avoir une neuve. Pendant des années, elle avait conduit une poubelle. Une chose qui ne démarrait plus dés qu’il faisait un peu trop froid, qui lâchait un nuage de fumée noire quand elle accélérait trop. Bref, une machine capricieuse et moche, qu’elle avait malgré tout aimer pendant longtemps. Jusqu’à ce qu’elle lâche totalement. Elle avait commencé à regarder les petites annonces. Seulement elle n’en avait pas les moyens. Puis il y a eut l’annonce du mariage, et disons que la voiture n’était plus vraiment une priorité. Puis sa mère lui avait remis en main les clefs de ce petit bijou. Comment résister…

Enfin bref, Lily était donc morte de fatigue. Parce que en plus de faire ses aller-retour, elle avait du décharger elle-même le coffre. Sa patronne s’était retrouvé coincé dans la boutique avec des clients. A chaque fois. Elle vidait le coffre pour la troisième fois lorsqu’il fit tomber un carton. S’était à prévoir. Au bout d’un moment les bras faiblissent. Le carton lui glissa donc des mains. Heureusement, la porcelaine et les choses fragiles était partie lors du premier voyage. C’est donc un carton remplit d’argenterie qui se vida sur le trottoir. Le problème de l’argenterie, c’est qu’il y a des tas de petites pièces qui s’éparpillent dans tout les sens. Elle perdit donc quelques minutes à ramasser cuillères, fourchettes et couteaux de toutes tailles. Elle pensait avoir fini lorsqu’un éclat argenté attira son regard. Une cuillère à dessert s’était glissé sous sa voiture. Lily poussa un long soupir. Elle reposa le carton dans le coffre, et s’accroupit. Elle tendit le bras, tentant d’attraper la cuillère. Trop loin ou bras trop court, elle n’y parvenait pas. Elle n’avait plus qu’allongée à même le sol. Pas une situation des plus normales. Espérons que personne ne la regardera se faufilé sous la voiture. Au moins, elle ne portait pas du jupe ! Elle parvint finalement à l’attraper. Un sourire victorieux se dessina sur ses lèvres. Elle pouvait à présent se relever. Mais en se retournant, la première chose qu’elle put voir, ce fut des chaussures. Finalement, quelqu’un l’avait peut-être vu se contorsionner pour attraper cette fichue cuillère.

« Lily, tu peux m'expliquer ce que tu fais sous une voiture en plein milieu de la rue ? » Alors, oui, je vous vois venir avec vos gros sabots, il y a des façons plus sympa d'aborder une connaissance de la faculté d'histoire. Mais admettez que ce n'était pas tous les jours qu'en marchant pour me rendre à la poste, je me retrouvais face à un tel spectacle ! En plus, je ne prétendais pas être sympa. Je l'avais affirmé clairement suite aux rumeurs de RHI sur l'application téléphonique de la ville, je suis une garce, et je m'en porte plutôt pas mal. Par ailleurs, selon moi, il y a plusieurs sortes de garce. Moi je suis du genre insensible, de philosophie déterministe par choix, et j'étais un peu trop portée sur les hommes (pris ou pas, je ne faisais pas dans la dentelle). J'étais donc l'ennemie naturelle de la plupart des filles de mon âge, mais quelque part, ça, c'était à l'époque d’Athènes... ou de mon arrivée aux USA, bref, avant ma prise de conscience. Je n'étais plus aussi dragueuse depuis que je bossais, depuis que j'avais perdu ma sœur... Depuis que ma vie était un foutoir autrement dit. J'avais même songé à une reconversion religieuse, mais qui y croirait ? Pas Dieu en tout cas.

Toujours était-il que je n'avais pas de réputation de fille sympa à sauvegarder et que Lily avait vraiment l'air ridicule. Le contraste était augmenté par le fait que je ne l'avais jamais côtoyé en dehors de la faculté d'histoire, du coup, c'était la première fois que je la voyais en dehors de la bibliothèque ou d'un amphi' et elle était couchée à tenter d'attraper un truc sous une voiture (j'avais fini par comprendre que c'était la seule chose qui avait pu motiver cette position, mais ce devait être important quand même pour faire ça en pleine journée!).

Dans un geste de sollicitude qui n'était pas feint mais qui frôlait encore l'incompréhension de la présente situation, je lui tendis la main pour l'aider à se relever. « Elle est en panne ? » Demandais-je dans une veine tentative de savoir ce que l'étudiante faisait. Pour ce faire, je désignais la voiture qui avait l'air récente, je l'imaginais mal en panne, cela dit, je n'y connaissais rien. Mon rayon c'était l'histoire, ancienne de préférence, et depuis que j'assistais Saroyan pour qu'il m'aide à faire ma thèse, je m'étais involontairement spécialisée dans l'histoire des relations hommes-femmes. C'était plus le domaine du patron que le mien, cela dit, faut bien manger, et bosser pour lui payait le loyer, la nourriture... et le peu de loisir que je m'offrais (en gros, des sorties dans le bar du coin). En revanche, moi, je n'avais pas de voiture. Je n'avais même pas le permis. C'est pour ça que les grandes villes me manquent, il y avait plus de transport en commun. Cela dit, ce n'était pas le sujet, il valait mieux attendre la réponse de Lily.