Je suis face au miroir, le regard vide, le teint blême. Je me fixe droit dans les yeux. Je dois le faire. J'ai dans ma main une tondeuse électrique. Je n'ai plus qu'à l'enclencher. Je n'ai plus qu'à faire le geste et tout sera terminé. Je regarde à ma droite : il y a mes médicaments. Cinq petites boîtes remplies de ce qui me prolonge, de ce qui me tient encore en vie. En vie oui, mais à quel prix ? Je sais que lorsque je sortirai de cette salle de bain, je ne pourrai plus tricher devant Kai. Il ne sera plus utile de me mettre de la poudre pour me donner meilleure mine. Il ne sera plus utile de porter ses bonnets ridicules pour masquer ma perte de cheveux. C'est le printemps, plus personne ne porte de bonnet. Je le retire, le bonnet noir. Je vois mon crâne à moitié dégardi. Je passe ma main gauche sur ma tête, encore des cheveux qui tombent. Je ne peux plus tricher, je ne peux plus faire semblant. J'ai un cancer, je suis en chimio.

J'enclenche la tondeuse. Je respire profondément. Ma gorge est serrée. On pourrait penser que c'est à cause du stress, mais c'est plutôt à cause des nombreux effets secondaires des médicaments. Il y a ça et puis il y a aussi ses maux de têtes incessants. Je suis fatigué, épuisé. Mes cernes me trahissent et ce n'est même plus la peine de compter sur le maquillage de ma fiancée pour le cacher. Je me lance, je porte la tondeuse à mes cheveux. Les quelques mèches restantes tombent les unes après les autres. J'ai presque envie de fermer les yeux tant la vue de mon crâne dégarni m'est insupportable. Les larmes affluent au bord de mes iris. Pourquoi en suis-je là ? Pourquoi dois-je subir tout ça ?

J'ouvre le robinet pour que l'eau étouffe le bruit de mes sanglots. Je ne veux pas que Kai me voit comme ça. Je veux la préserver. Je veux lui éviter toute souffrance superflue. Elle en a déjà suffisamment bavé et je préfère qu'elle garde son optimisme, ça nous aidera à profiter de nos derniers mois ensemble. Je me prends la tête entre les mains. J'éloigne mon regard de mon visage délaissé de ses cheveux bruns. Cette vision m'est bien trop difficile. J'attrape mon bonnet. Je ne me sens pas capable d'affronter le regard de la femme que j'aime. Je ne me sens plus Fernando. Je ne me sens plus homme. Je me sens chose. Pauvre chose en fin de vie, atteint d'un cancer assassin. J'essuie mes joues humides et je me rince le visage à l'eau froide. Je bois un peu d'eau au robinet afin de pouvoir hydrater ma gorge, du moins lui en donner l'impression le temps de quelques secondes. Une fois que mon bonnet est bien en place sur ma tête, je sors de la salle de bain. Je sais pertinemment que l'on peut voir mon absence de cheveux, mais j'ai besoin de cette légère illusion.

Kai est devant la télévision, en train de regarder je ne sais quel programme stupide. Je m'assieds à côté d'elle. « Je me suis rasé la tête. » Je dis ça comme ça, sans la moindre expression, sans le moindre regard. J'attrape sa main quand même. Je la serre fort. J'ai besoin de sa présence, c'est la seule chose qui compte, la dernière chose qui compte. « J'aurai un rendez-vous très important mardi à l'hôpital. J'aimerais beaucoup que tu m'accompagnes. » J'avais fait des examens et j'en aurai enfin les résultats. « C'est pour savoir si mon cancer va mieux. » Ou s'il a empiré. Et j'aurais plutôt tendance à pencher pour cette option. Je le sais, en fait. Je le sens en tant qu'homme et je le sais en tant que médecin. Les choses ne vont pas mieux, les choses vont de plus en plus mal. Aussi lâche que cela peut être, je préfère qu'elle l'entende de la bouche du médecin que de la mienne. Il saura quoi dire. Il saura comment aborder les choses. Moi, je ne sais plus.

Kai était assise le canapé, le regard perdu dans le vide bien que rivé sur la télé. Elle ne voyait absolument pas cette adolescente complexait par ses kilos en trop, elle était ailleurs. La main sur son ventre qu’elle trouvait vraiment énorme Kai essayait de comprendre, pourquoi ça leur arrivait à eux ? Qu’avaient-ils fait de mal ? Était-elle vouée à élever un enfant seule et pleurer son fiance ? Le bruit de la tondeuse lui torturait l’esprit. Ça y est, il le faisait, il se rasait les cheveux pour ne pas les voir tomber… foutu médocs ! Oh oui, bien sûr, elle se souvenait que c’était elle qui l’avait poussé à prendre ces médicaments, c’était elle qui l’avait poussé à faire de la chimio, elle avait refusé de voir le cancer le bouffer sans avoir tout fait pour le combattre. Elle s’en souvenait parfaitement, mais, malgré ça ce n’était pas simple, elle tentait de cacher à Fernando ses craintes, ses doutes, son désespoir, elle voulait être forte pour lui, le soutenir et non lui rendre la tâche plus complexe. Elle avait envie de pleurer, elle crevait d’envie de s’effondrer, de tout abandonner, elle crevait d’envie de cesser toute cette souffrance pour elle comme pour lui mais, elle ne faisait rien, elle ne craquait pas, elle gardait la tête espérant sincèrement que chaque jour les guidaient vers une amélioration, vers la guérison. Elle aurait tout donné pour que ce soit le cas, vraiment, elle s’accrochait à cette espoir plus qu’à n’importe quoi parce qu’au fond… c’était tout ce qui lui restait, ce qui leur restait.

« Je me suis rasé la tête. ». Il avait dit ça comme ça, comme si c’était tout à fait naturel, bien sûr que non ça ne l’était pas, mais, il ne fallait pas s’attarder sur les étapes aussi dures soient-elles. Elle caressa doucement la main qu’il lui avait tendu à défaut de répondre à cela, elle lui caressait juste la main, elle lui offrait juste un regard amoureux, il fallait simplement qu’il sache qu’elle était là, à ses côtés et elle ne comptait pas le lâcher. « J'aurai un rendez-vous très important mardi à l'hôpital. J'aimerais beaucoup que tu m'accompagnes. ». Le cœur de la jolie rouquine manqua un battement, pas parce qu’elle devait l’accompagné non, mais, parce qu’il avait un rendez-vous à l’hôpital et à chaque fois, elle craignait d’apprendre que les choses avaient empiré alors que… il n’y avait pas de raisons. « C'est pour savoir si mon cancer va mieux. ». Elle hocha la tête positivement avant de se pencher pour l’embrasser tendrement. « Je serais là. ». Elle lui offrit un sourire qui se voulait rassurant, elle tenter de lui faire garder le moral mais, elle le sentait tellement triste, désarmé… à vrai dire elle ne savait plus vraiment quoi faire mais, elle saurait là. « J’ai aussi un rendez-vous à l’hôpital le jour-là mais, si les heures le colle pas j’annulerai pour être avec toi, c’est pas un souci. ». Pas un souci… pas à ses yeux mais en réalité mardi elle devait sa première échographie… autant dire qu’il était temps au bout de quatre mois et demi de grossesse ! Normalement la première était à trois mois mais, dans sa tête ça n’avait vraiment pas la moindre importance. Une échographie, un examen pour un cancer… franchement le choix était vite fait, elle préférait être là pour l’homme qu’elle aimait plutôt que de regarder un écran pour voir le bébé bouger, parce que franchement il était bien vivant ! Il lui faisait vivre un enfer certains jours enfin bon, son choix était fait, Fernando passait avant tout.

Mon bonnet me gratte le crâne. C'est desagréable, mais je refuse de l'enlever. Je refuse de mon montrer sans devant Kai. Je n'accepte pas mon nouveau visage, je ne m'attends pas à ce qu'elle, elle l'accepte. Je dois être repoussant. Elle n'aura même plus envie de m'embrasser, même plus envie de faire l'amour. À quoi bon lutter si c'est ça la vie qu'on a au final. Ce n'est plus une vie. Ce n'est rien.

J'explique à Kai le but de ce rendez-vous et elle répond simplement : « Je serais là. » tout en déposant un tendre baiser sur mes lèvres. Mes craintes s'envolent quelque peu. Kai est merveilleuse. Je sens qu'une fois encore elle se met de côté pour moi. Elle masque ses souffrances pour mieux s'occuper des miennes. Et moi, une fois encore, je la laisse faire. Parce que je suis trop faible pour veiller sur elle. Je faillis à mon rôle. J'ai honte. J'ai tellement honte. « J’ai aussi un rendez-vous à l’hôpital le jour-là mais, si les heures le colle pas j’annulerai pour être avec toi, c’est pas un souci. » Evidemment qu'elle annulerait. Je n'en doute pas une seconde. Mais je refuse. « Non, Kai. Tu dois aller à ce rendez-vous. C'est important. J'ai envie de savoir que le bébé va bien. Si moi ça va pas, j'aimerais au moins qu'une partie de moi, celle qui grandit en toi, aille bien. » Mon bébé, notre bébé. Je retire ma main de la sienne et je la pose sur le ventre de la belle rousse. Je sais qu'elle déteste ça, mais elle ne m'en empêche pas. Elle sait que ça me fait plaisir, elle sait que j'aime le sentir bouger. Ce rendez-vous, cette première échograhie, ça fait déjà bien 2 mois qu'elle est sensée la faire. Pas question qu'elle repousse encore. « Et je serais ravi de venir. » Oui, vraiment, je veux être là. C'est très imporant pour moi. « Mon rendez-vous est à 14h, et le tien ? »

Il y a également autre chose dont j'aimerais parlé avec elle, dont je dois parler avec elle. Et je dois le faire pendant qu'il est encore temps. Pendant que j'ai encore un semblant de vie et un semblant d'énergie. Il faut que nous parlions de ce qu'elle m'a confié il y a quelques temps, avant nos fiançailles. Ses souvenirs revenus, Blazhe, cette culpabilité qui la ronge. J'ai besoin d'en savoir plus, j'ai besoin de poser des questions, mais j'ai surtout besoin d'être rassuré. « Kai... » Elle tourne la tête et plonge ses yeux dans les miens. Je caresse son visage. « Pardonnes moi de revenir là-dessus, mais... J'aimerais te poser des questions sur Blazhe si tu es d'accord... » Je me sens mal d'avoir à lui demander ça. Je me sens mal de faire remonter ses souvenirs une fois de plus. Je sais que c'est difficile pour elle et je m'en veux de lui causer des souffrances supplémentaires. « Si c'est trop dur, c'est pas grave. C'est pas non plus le meilleur moment... » J'essaye de me montrer rassurant, de retrouver mon rôle d'homme protecteur le temps d'une courte minute. Je saisis sa main et je dépose un léger baiser sur ses long doigts.

« Non, Kai. Tu dois aller à ce rendez-vous. C'est important. J'ai envie de savoir que le bébé va bien. Si moi ça va pas, j'aimerais au moins qu'une partie de moi, celle qui grandit en toi, aille bien. ».Oh mais il allait bien, il pétait la forme, il fatiguait sa mère mais ça n’avait pas l’air de lui poser de problèmes alors bon. Fernando retira sa main de celle de Kai pour la poser sur son ventre, elle avait horreur de ça mais, elle ne s’y opposait plus, elle savait combien c’était important pour lui de le faire. En fait, elle avait l’impression que ce ventre était pour Fernando sa source d’espoir et de réconfort, elle n’allait pas l’en priver. « T’en fait pas pour lui, il pète la forme, j’ai l’impression qu’ils sont quinze là-dedans par moment… ». Elle disait ça avec une pointe d’humour mais mine de rien, elle se demandait comment un bébé pouvait faire autant de bordel dans son ventre. « Et je serais ravi de venir. ». Elle lui offrit un beau sourire, elle aurait été étonnée de l’inverse en réalité. « Eh bien pas de soucis, tu viendras. ». Ça non plus elle n’allait pas l’en priver, c’était bien trop important pour lui et Kai en avait parfaitement conscience. « Mon rendez-vous est à 14h, et le tien ? ». La jolie rousse fit mine de réfléchir avant de voler un baiser à son amoureux. « 13h, ce qui fait qu’on peut faire les deux dans la foulée ! ». Elle lui offrit un beau sourire, elle n’aurait pas à sacrifié le rendez-vous de Fernando au profit d’une écographie de routine.

« Kai... ». La jolie rouquine le regarda dans les yeux tout en attrapant sa main –la laissant toutefois sur son ventre-, elle attendait la suite tout en cherchant déjà à le rassurer alors que lui caressait doucement son visage. « Pardonnes moi de revenir là-dessus, mais... J'aimerais te poser des questions sur Blazhe si tu es d'accord... ». Kai resta de marbre, comme si ce sujet ne l’atteignait pas alors que son cœur avait manqué un battement en entendant le prénom de Blazhe, malgré ce qu’elle avait promis à Prisca, elle évitait de penser à Blazhe parce qu’elle ne faisait que culpabiliser et en ce moment, elle n’avait pas vraiment besoin de ça. « Si c'est trop dur, c'est pas grave. C'est pas non plus le meilleur moment... ». Elle fit un non de la tête avant de lui offrir un sourire rassurant, ce n’était pas facile mais pour lui elle était prête à en parler, à répondre à toutes ses questions –dans la mesure de ses souvenirs-. « Non, c’est bon, qu’est-ce que tu veux savoir ? ». C’était sans doute normal qu’il ait des questions à ce sujet, la dernière fois il n’avait rien demandé, il avait juste tenté de la rassurer mais, ce n’était pas une situation facile, ni pour Kai ni pour Ferny… ni pour les parents de Kai qui harcelaient leur fille depuis qu’elle avait été chez eux pour les insulter de tous les noms mais, ça c’était à part, ils l’avaient cherché.

Je caresse doucement le ventre de Kai. Je sens le bébé donner de féroces coups dans le ventre de ma belle sirène. Décidemment, le petit est hargneux. Je suis soulagé de savoir qu'il est plus en forme que son père en ce moment. Mais même si tout semble aller, je veux en avoir le coeur net avec ce rendez-vous de médecin. « T’en fait pas pour lui, il pète la forme, j’ai l’impression qu’ils sont quinze là-dedans par moment… » Je souris doucement et je me penche vers le ventre arrondi de ma fiancée. « Je sais que tu t'y sens bien, mais ne casses pas tout dans le ventre de maman. » Je lève les yeux vers elle et je sens une légère contrariété due au fait que je l'ai appelée maman. Je dépose donc un baiser sur ses lèvres pour me faire pardonner.

Je lui demande à quelle heure est son rendez-vous pour voir si ça concorde. « 13h, ce qui fait qu’on peut faire les deux dans la foulée ! » C'est parfait. C'est plutôt une bonne chose, comme ça j'aurai plutôt un bon moral pour affronter mon rendez-vous qui ne s'annonce pas très rigolo.

Maintenant que ce petit détail d'organisation est réglé, j'aimerais aborder un autre sujet : Blazhe et l'accident. On en a pas encore sérieusement parlé et il y a certaines choses que j'aimerais savoir. Je sais que le sujet est sensible, que ce n'est pas facile pour Kai de revenir la dessus, mais je sens qu'il n'y aura jamais de bon moment pour en parler alors autrant le faire tant qu'il est encore possible. « Non, c’est bon, qu’est-ce que tu veux savoir ? » Mes yeux sont encrés dans les siens. J'attrape sa main que je serre fort. Je prends une grande inspiration et je me lance. « C'était vraiment sérieux entre vous ? » J'ai besoin de le savoir. Ça peut paraître stupide ou encore déplacé. Et peut-être bien que ça l'est, mais j'ai besoin de savoir. Kai a été mon premier amour. Mon premier vrai amour. Et je me suis toujours surpris à penser que c'était la même chose dans l'autre sens. Et il se pourrait bien qu'en fait ça ne soit pas du tout le cas. Je peux l'accepter, c'est certain, mais j'ai tout de même cette peur. Cette peur qu'elle ait pu l'aimer plus que moi. Et peut-être même qu'elle l'aime encore un peu. L'amnésie efface les souvenirs, mais efface-t-elle les sentiments ? « Et je me demandais... Est-ce que... Est-ce que tu l'aimes encore ? » Cette question peut la choquer. Elle la choquera surement, mais je me dois de la poser. Elle me brûlait trop les lèvres. Il fallait que j'en sois sûr. Il fallait que je demande. « Dis moi les choses telles que tu les ressens, n'aies pas peur de me blesser. »

Fernando aborda un sourire, évidemment que son enfant allait bien, vu comme il gigotait. Il se pencha donc sur le ventre de Kai pour lui parler. « Je sais que tu t'y sens bien, mais ne casses pas tout dans le ventre de maman. ». Maman, elle avait horreur de l’entendre l’appeler ainsi, elle n’était pas maman, elle allait l’être mais pour le moment non. Ce mot ne faisait que la contrarier et pour le coup elle avait bien du mal à le cacher si bien que son fiancé déposa un tendre baiser sur ses lèvres pour se faire pardonner.

Et puis Fernando aborda un sujet plus que sensible : Blazhe. Il savait bien que Kai n’aimait pas en parler mais il avait des questions à lui et elle, elle l’aimait tellement et elle n’était pas capable de le priver de quoique ce surtout dans ces circonstances. Elle allait donc faire un effort pour lui, pour qu’il de doute plus, du moins, c’est ce qu’elle pensait avant d’entendre sa première question. « C'était vraiment sérieux entre vous ? ». Elle comprenait mieux pourquoi il serrait sa main si fortement, et lui, sa question était sérieuse ? Elle avait du mal à réaliser ce qu’il venait de lui demander là, sans penser que le pire était encore à venir. « Et je me demandais... Est-ce que... Est-ce que tu l'aimes encore ? ». Kai restait stoïque, elle ne savait pas comment réagir tant cette question était blessante et vexante. Au fond d’elle-même, elle se sentait vraiment mal, il pensait vraiment qu’elle pouvait être avec lui en étant amoureuse d’un mort ? Il pensait vraiment qu’elle le trompait sur ses sentiments ? Comment pouvait-elle lui prouver qu’il n’y avait que lui ? Elle était enceinte de lui, enceinte d’un enfant dont elle ne voulait pas, pour lui, elle n’avait pas hésité deux secondes à l’épouser, elle garder l’espoir qu’il aille mieux parce que sa vie sans lui n’était rien… elle n’arrivait pas à croire que tout ça lui échapper complètement.

«Dis-moi les choses telles que tu les ressens, n'aies pas peur de me blesser. ». Elle récupéra sa main, ne pas avoir peur de le blesser… en attendant, c’était lui qui l’avait blessé là, à cet instant précis. Il remettait tout en doute à cause de quelques souvenirs. « Mais comment tu peux me demander ça ? Qu’est-ce que je dois faire pour que tu comprennes que je t’aime et que je n’aime que toi. Blazhe c’est du passé et non je ne l’aime plus… ». Elle s’était relevée, agacée et bouleversée par les accusations auxquelles elle devait répondre et puis ce gosse qui en rajoutait une couche –comme à chaque fois qu’elle s’énervait- ça n’arrangeait pas vraiment les choses. « Il est mort et le seul sentiment qui m’habite c’est la culpabilité. ». Oui, il était mort, Fernando était jaloux d’un mort et Kai devenait juste dingue, ils s’étaient tant de fois pris la tête à cause de Blazhe, et ça continuait même en sachant qu’il ne reviendrait jamais dans la vie de Kai. « Ça a été sérieux autant que ça peut l’être quand on a quatorze ans et que le but premier c’est de s’opposer à l’idéologie parental. J’ai sans doute aimé Blazhe très sincèrement, au point de mettre ma vie en danger pour lui. Mais, Blazhe n’était pas l’Homme de ma vie, il y aurait eu une fin à notre histoire… je veux dire s’il n’y avait pas eu l’accident, notre avenir n’aurait pas été ensemble. ». Et ça elle en était intimement persuadée sans pouvoir expliquer pourquoi. Si elle se souvenait, elle pourrait sans doute dire à Ferny que Blazhe et elle n’aurait pas eu d’avenir parce qu’elle passait après tout, parce que Blazhe l’aimait mais moins que ce qu’elle l’aimait elle, ils n’auraient pas eu d’avenir parce qu’elle aurait fini par grandir et refuser ce qu’il lui faisait subir. Blazhe, c’était l’amour d’une adolescente perdue en pleine crise, pas d’une femme mûre et amoureuse.

Enfin vient l'heure du sujet sensible : Blazhe. Je pose mes questions, je parle doucement, lentement, j'essaye de m'exprimer correctement, de choisir les bons mots. Je ne veux pas blesser Kai, je ne veux pas raviver trop ses souffrances. Et pourtant, et pourtant oui, je n'y manque pas. Le visage de la roquine se décompose à mesure que je parle. Elle ne peut masquer quelques rictus d'énervement. Je sens que j'ai posé la question qui ne fallait pas. « Mais comment tu peux me demander ça ? Qu’est-ce que je dois faire pour que tu comprennes que je t’aime et que je n’aime que toi. Blazhe c’est du passé et non je ne l’aime plus… » C'est ça, encore une fois. J'ai touché la où ça fait mal. Kai a cru que je doutais de son amour, que j'avais besoin une fois de plus d'en être sûr. En effet, comment pourrais-je en douter ? Comment pourrais-je pensé ne serait-ce qu'une seconde qu'elle n'est pas amoureuse de moi ? Sinon, pourquoi aurait-elle gardé un enfant dont elle ne veut pas. « Il est mort et le seul sentiment qui m’habite c’est la culpabilité. » Elle crie, elle hurle. Elle s'est levée d'un bond, comme ça, sous le coup de la colère. Je l'ai rarement vu comme ça. Même durant nos pires disputes. À vrai dire, en général c'est moi qui m'énerve plus fort que tout le monde. Mais là, Kai est réellement agacée, boulversée. Et moi, je suis comme un con, rendu muet par l'erreur que je viens de commettre.

« Ça a été sérieux autant que ça peut l’être quand on a quatorze ans et que le but premier c’est de s’opposer à l’idéologie parental. J’ai sans doute aimé Blazhe très sincèrement, au point de mettre ma vie en danger pour lui. Mais, Blazhe n’était pas l’Homme de ma vie, il y aurait eu une fin à notre histoire… je veux dire s’il n’y avait pas eu l’accident, notre avenir n’aurait pas été ensemble. » Son ton s'est quelque peu adouci, mais sa réponse reste plutôt sèche. C'est à mon tour de parler de toute évidence. Kai s'est tu et laisse planer un silence insoutenable depuis quelques secondes. « Je.. » Je commence de manière plus que maladroite. « Je n'ai pas douté de ton amour pour moi une seule seconde... » Je poursuis. « Je... Je voulais juste savoir si tu avais encore une place pour lui, dans ton coeur. Je veux dire... On oublie jamais totalement son premier amour. » Je n'ose pas la regarder, je n'ose pas défier son regard perçant et accusateur. « Je suis désolée mon amour, je ne voulais pas te blesser. Je voulais juste savoir. Je voulais juste être compréhensif. » C'est exactement comme ça que je le ressens. Je veux simplement qu'elle se sente écoutée et soutenue. Et au lieu de ça, elle pense à nouveau que je n'ai pas confiance, que je doute de ses sentiments. Après tout ce que l'on a vécu, après tout ce que l'on endure chaque jour il n'y a plus de doute possible.

J'avance vers elle, toujours sans la regarder. Je ne sais pas si elle me rejettera ou non, mais j'attrape sa main. « Il faut vraiment que tu m'aimes très fort pour rester avec moi. J'veux dire, regardes moi, je suis pathétique. » J'enlève mon bonnet, dévoilant enfin mon crâne nu aux yeux de ma fiancée. Je veux simplement lui faire comprendre, même si ça me coûte de mon montrer ainsi. J'ai toujours les yeux baissés, plus que jamais je me sens incapable d'affronter son regard. J'ai trop peur de ce que je pourrais y trouver. « Et tu n'as pas à t'en vouloir. Blazhe a eu tord de prendre le risque de perdre une femme aussi extraordinaire que toi. »

« Je.. » Forcément en criant elle avait mis Fernando mal à l’aise mais elle n’y avait pas pensé une seule seconde, il l’avait simplement blessé avec ses propos mais en aucun cas elle n’avait voulu qu’il se sente aussi mal qu’elle. « Je n'ai pas douté de ton amour pour moi une seule seconde... ». Alors comment pouvait-il imaginer qu’elle puisse aimer Blazhe ? Enfin aimer Blazhe et Fernando en même temps cela paraissait totalement impensable. « Je... Je voulais juste savoir si tu avais encore une place pour lui, dans ton cœur. Je veux dire... On oublie jamais totalement son premier amour. ». Eh bien elle si, parce que précisément ce qu’elle avait vécu n’avait rien de naturel, ce qu’elle avait vécu n’était pas normal, par conséquent elle ne l’était pas non plus, elle avait oublié son premier amour et si en effet, aujourd’hui, elle s’en souvenait, c’était uniquement parce qu’elle l’avait tué. Au fond, son histoire d’amour avec Blazhe ne l’intéressait pas, du moins pas plus que ce qu’elle savait déjà, elle l’avait aimé comme une adolescente perdue, elle était tombée amoureuse du bad boy comme beaucoup de jeune fille et comme souvent pour ces jeunes filles, les choses finissent mal. « Je suis désolée mon amour, je ne voulais pas te blesser. Je voulais juste savoir. Je voulais juste être compréhensif. ».

Elle souffla alors, s’en voulant d’avoir crié après Fernando, de s’être énervé comme ça, Blazhe n’était pas franchement un sujet facile à aborder, surtout avec Fernando qui lui en avait plusieurs voulu à cause de ses cauchemars, de ses souvenirs. Elle avait peur qu’il fuit une nouvelle fois alors, elle était sur la défensive. « Je suis désolée de m’être emporté… c’est juste que c’est inconcevable pour moi d’envisager aimer quelqu’un d’autre que toi. Et c’est juste que ça me vexe que tu puisses imaginer qu’il y a encore de la place pour Blazhe dans mon cœur. » Elle regarda alors Fernando droit dans les yeux, beaucoup plus calmement que précédemment. « Je me souviendrai sans doute de certains éléments de ma vie passé Fernando, mais, je ne pourrais jamais me souvenir des réflexions qui m’ont poussé à agir de la sorte, je veux dire que… même si je peux me souvenir de quelques sentiments, par des détails, je ne les récent plus aujourd’hui. La Kai qui était amoureuse de Blazhe n’est pas du tout celle que tu aimes aujourd’hui. S’il était encore vivant, vous ne parleriez pas des mêmes personnes… ». En d’autre terme, il ne fallait pas qu’il s’inquiète pour son passé, parce qu’elle avait compris qu’elle ne savait pas qui elle était avant, qu’elle ne le saurait jamais mais que ça n’avait pas d’importance parce que ce qui comptait c’était qui elle voulait être aujourd’hui.

Fernando se leva alors pour s’approcher d’elle et prendre sa main. « Il faut vraiment que tu m'aimes très fort pour rester avec moi. J'veux dire, regardes moi, je suis pathétique. ». Il retira alors son bonnet, refusant de lever les yeux vers Kai, se sentant surement honteux de son état. Elle n’eut pas le temps de réagir, de dire quoique ce soit qu’il ajouta quelque chose « Et tu n'as pas à t'en vouloir. Blazhe a eu tort de prendre le risque de perdre une femme aussi extraordinaire que toi. ». Ses mains fines et délicates caressèrent doucement le visage du jeune homme, le forçant petit à petit à la regarder. Une fois le regard bien en face, elle lui accorda un tendre sourire. « Je t’interdis de dire que tu es pathétique. ». A ses yeux il ne l’était pas il était courage et le courage c’était quelque chose de rare. Elle déposa alors un tendre baiser sur ses lèvres sans rien ajouter sur Blazhe. Parce que Blazhe était mort et elle savait pertinemment qu’elle n’était pas innocente à sa mort et même s’il l’avait en danger elle aussi, ça ne la déculpabilisait pas.