Pourquoi tu es partie tu t'es barrée comme ça /je comprends pas tu avais tout / je suis bien content t'as eu raison de lâcher ton mollusque / tu avais tout et tu avais tout à New York / comment ça tu es partie / c'est une mauvaise blague de l'autre là reviens vite / c'est quoi ta bourgade paumée du Maine / Mollusque va pas bien tu sais il faut que tu reviennes / Pars pas.

Ma tête tournais, les lettres, mots, textos, sms, messages défilaient devant mes yeux et l'impuissance me gagnait. Peut être que, et si, étaient les seuls mots qui me venait à l'esprit. Peut être mais peut être que quoi ? Inconsciemment j'avais déjà préparé mon départ depuis longtemps. New York me faisait suffoquer et comme souvent l'animal qui me caractérise le mieux, l'autruche, avait pris le dessus. Au début tout allait bien. J'étais partie du Dakota du Nord après le lycée pour entamer des études de lettre à New York, mon ambition la plus extravagante consistant à vivre tranquillement d'un métier de bibliothécaire qui, j'en étais certaine, allait me passionner. A défaut d'avoir le talent nécessaire pour écrire un livre autant faire la promotion de ceux qui en avait, du talent. C'était il y a quatre ans. Et contrairement à mes camarades de lycée qui pensait que la fac était surtout l'occasion de découvrir sexe, alcool et drogue (pour ceux qui ne l'avait pas déjà fait) moi ce que je voulais c'était bosser. J'avais une petite chambre à deux pas de la fac, idéal pour s'y rendre tôt le matin et bachoter. C'est ici que j'ai rencontré celui que tout le monde allait désormais appeler Mollusque. Mollusque c'est le garçon qui a été programmé pour que je passe le reste de ma vie avec lui.

Il faut que tu reviennes je t'aime j'ai la bague je sais que tu ne veux pas te marier tout de suite mais je t'attend tu sais / retourne avec Jean il est l'homme qu'il te faut il a une bonne situation tu sais il pourra aisément subvenir à tes besoins / tu as besoin de temps pour réfléchir je comprends mais reviens nous tu nous manques à tous.

J'avais passé la journée à l'appartement. J'avais passé le plus clair de mon temps à butiner à droite à gauche, à ranger des bricoles, à nettoyer, astiquer, passer quelques coups de fils et payer les factures avant de m'attaquer à la rédaction d'un commentaire pour l'université. Puis j'ai commencé à préparer un gigot pour Mollusque. Enfin Jean quoi. Et puis je m'étais arrêtée net et une soudaine prise de conscience m'avait submergé. Je me suis écroulée sous son poids, littéralement. J'ai glissé, me suis cognée la tête que j'ai prise dans mes mains tremblantes comme une aliénée. Des grosses larmes se sont mises à couler le long de mes joues et j'ai commencé à hoqueter puis à émettre une sorte de gros râle accompagné de sanglots. J'ai eu envie de crier de hurler, j'étais hors de mon corps, mon cerveau n'était pas en mesure de me stopper, ni même de m'expliquer cette excès de démence. J'ai commencé à me tordre par terre, comme si je voulais m'extirper, m’ôter de moi même. Puis j'ai soufflé plusieurs fois, pendant de longue minutes. Mollusque n'allait pas tarder et j'avais besoin de temps. J'ai sauté sur mes pieds et j'ai titubé jusqu'à notre chambre. J'ai saisis un vieux sac de sport et machinalement j'y ai déposé, mécaniquement, mes affaires les plus importantes, mes cours, mes livres, mon passeports, mes carnets, quelques photos et des fringues. En quinze minutes ma valise était bouclée. Puis comme une automate je suis retournée à la cuisine et j'ai laissé le gigot pour mort. Il est entré à ce moment. La, il m'a salué comme il le fait d'habitude. Il ne m'a pas vu tout de suite, il était en train de mettre son manteau et chapeau sur le porte manteau. Et puis il m'a vu, moi et mes yeux bouffis, valise à mes pieds, gigot en main, bloquée. Je ne garde pas un grand souvenir de cette dispute. Juste de son air démunis, comme si le monde s'écroulait autour de lui, comme il s'était écroulé autour de moi quelques minutes auparavant. Tout ce qu'il me reste c'est «On va pas se séparer pour une histoire de gigot quand même ? »

Je suis au regret de voir que vous nous quitter / vous auriez pu tellement apporter à cette université / nous acceptons votre candidature avec beaucoup de plaisir nous vous transmettons notre réponse dans les plus brefs délais / suite à notre conversation téléphonique j'ai l'honneur de vous annoncer que vous pourrez vous présenter au secrétariat au plus tôt pour finaliser votre inscription.