❝ Il est doux comme une serviette. ❞
« Ce n’est pas qu’il a un problème ce garçon, il est juste hyperactif ». La douceur du Maine avait accueilli les Gavennham depuis plusieurs générations. Né à Arrowsic dans une famille modeste, papa Gavennham avait conquis Portland histoire d’intégrer une fac moins moche que celle de son village natal. Il avait réussi avec brio, avait fait un stage à New-York où il s’était dégoté une belle femme, et avait trouvé un emploi dans la fonction publique à la mairie d’Arrowsic pour sceller la boucle. L’air marin était pour lui une source d’évasion, il était copain avec tout le bureau du parti Républicain, et élever trois enfants au grand air était un pur bonheur. Evelyn, Leonard et Rodolf n’avaient eu leur mot à dire sur le trou du cul du monde dans lequel ils vivaient -ni sur leurs prénoms arriérés. Eve, atteinte d’un syndrome étrange qui consistait à tirer la tronche nuit et jour n’était pas sortie de sa crise d’adolescence et s’était débrouillée pour fuir le cocon familial, ce qui soulagea la famille entière. Lenny avait pris un tout autre terrain. Sa mutation à lui, c’était d’avoir un don inouï pour se foutre de tout, envoyer tout balader avec classe et légèreté, sans même s’en rendre compte. Lenny est une personne à part, de ceux que l'on appelle les marginaux. Il refuse le système, il refuse de s'y plier. Il est là, il vit sa vie, et il est heureux, peu importe sa place, médiocre ou honorifique, qu'il occupe dans la société. Lenny est étudiant en… en… il est étudiant. Ce que ses parents ne sauront jamais, c’est qu’il fut complètement défoncé le jour des inscriptions. Il enchaîne les rattrapages, réussit parfois son semestre. Lui même doit sûrement ignorer en quelle année il se trouve. Car Lenny fait également pousser des plants cannabis dans le bac à fleur de son appui de fenêtre, avec l’aide de son caméléon ou autre insecte bizarre non identifié, qui doit sûrement le fournir en engrais. Rudy, avait quant à lui préféré un tempérament casse-cou du à une hyper-activité. Un lascar superstar qui avait le don de se faire remarquer et d’enchaîner les conneries au point d’être connu du commissaire local. Il connaissait les habitudes de la cellule et avait son macciato caramel prêt à chaque arrestation. Il avait abandonné la course au meilleur bulletin pour frimer au pub sur le nouvel oeil au beurre noir dégoté après un bagarre sur le parking du Walmart. Pour satisfaire sa gigote, il prenait des punching ball vivant. Ses parents dépités avaient mis tous leurs espoirs dans leur dernière progéniture qui avait la chance de disposer d’un QI moyen-supérieur, d’être scientifiquement normal, psychologiquement équilibré, socialement intégré et intégrable, non déviant, ni marginalisé, fondu dans le système, et vu comme brillant. Sauf que les grandes écoles n’avaient point vu le même potentiel dans ce loubard terreur des rues et l’avaient recalé à la première occasion. Bien disposé à se reprendre en main, et à assumer ses erreurs, Rudy avait gentiment arrêté les bêtises, s’était inscrit en fac de droit, et avait pris un emploi à mi-temps pour se payer son propre appartement comme un grand.
Maman Gavennham avait gavé ses enfants de cuisine de mami, de tartes, confitures et mousse au chocolat faits maison, et papa Gavennham leur avait fait la moral à chaque mauvaise note. Il avait eu peur de la première progéniture et de ses yeux noirs, avait frôlé la dépression avec le cadet et s’était acharné sur le troisième jusqu’à devoir avouer son échec. Néanmoins Rudy n’avait jamais entretenu de mauvais rapports avec son père, bien qu’il le jugeait comme était un profond imbécile qui se trompait sur le bien de l’Amérique en votant Georges Bush. Rudy avait pour ainsi dire ce don d’avoir toujours raison, sur tout, peu importe la personne devant laquelle il se trouvait. S’il disait à l’inspecteur qu’il était innocent que ce n’était pas lui qu’on voyait casser trois vitres de voitures complètement ivre sur la vidéosurveillance, alors ce n’était pas lui. En somme Rudy était un con impertinent qui n’avait de tendresse que pour ses amis proches et son frère. Avec Lenny, il avait passé énormément de temps à jouer à la pâte à modeler, à lui confectionner des anti-sèches, et à fumer des pétards sous le porche de la maison entre le plat et le dessert lors des repas de famille. Rudy lui achetait toujours son cannabis, et venait souvent pleurer après une déception amoureuse, sa nouvelle ex ayant assurément toujours tort sur leur relation.
Vendeur de lingerie féminine. Rudy était ainsi devenu, au-delà du nouveau Harvey Specter, le roi de la lingerie. Au début, il fallait avouer que Rudy trouvait cela totalement excitant. Lenny venait le chercher tous les jours. « Est-ce que tu regardes les filles dans leur cabine ? », « Est-ce que ta boss t'apprends à estimer un bonnet avec des vrais modèles ? », « Est-ce que les nanas te demandent des conseil pendant l'essayage ? » C’était étrange, bizarre, drôle, stupide, horrible, obscène, c'est vous qui voyez. Or, dorénavant il savait établir la taille exacte d’un soutien-gorge porté par une gente dame, surtout quand celle-ci était dotée d’atouts remarquables. Il savait dégrafer les Woolford à un doigt et les petits conseils de lavage selon le type de dentelle. Il reconnaissait l’année de la collection de tel ou tel tanga, trouvait les strings trop vulgaires et pliait avec soin les culottes de soie sans les froisser. Il avait été voir à Beyrouth le soutien-gorge le plus cher du monde au musée Muawad et savait la taille de bonnet de toutes les mannequins Victoria Secret. Bien qu’il prenne cela à la légère et pouffait comme un enfant en emballant les porte-jarretelles des clientes, il s’était investi dans son travail. Malheureusement, ses collègues, le coiffeur d’en face, le glacier d’à côté, et toute la ville criaient en coeur et sur les toits qu’il était un parfait gay. Blessé par son égo, Rudy n’arrivait nullement à faire face à cette frénésie qui avait envahi tout Arrowsic jusqu’aux bancs de la fac. Cependant, il avait beau se battre, il enchaînait les faux pas en se présentant au concours de pâtisseries de son université où il étala ses talents héréditaires de cuisinier en offrant au jury des cheescakes dignes des plus prestigieux restaurants et des donuts maison qui feraient frémir les pâtisseries hipsters de New-York. Bref, après avoir gagné la cuiller d’or, il s’était résigné et préférait aller fumer des pétards chez son frère ou encore préparer des cupcakes chez son ami Fernando pour noyer sa peine. Et après sa licence de droit, et sa paire d’année à la boutique, Rudy avait tout de même était nommé numéro 2 du magasin d’Arrowsic. Avec cette promotion phénoménale qui ne fit qu’amplifier son immunité pour la lingerie -trop de lingerie tue la lingerie-, il entra en master et se mit à plancher sur son mémoire, reposant tout simplement sur la «
législation maritime de l’Arctique ».
« L’abour », dit-il avec le nez bouché par ses reniflements de chagrin. Helena était une de ces filles dont le prénom s'accrochait aux lèvres pour l'éternité. Helena laissait peu de place à l'oubli. Elle avait ce pouvoir insupportable de laisser son doux visage ancré dans les âmes de ces pauvres princes fous de cette reine aux yeux d'or. Helena fut en somme la principale chose qui bouscula le quotidien ancré de Rudy au sein de sa boutique et des archives de l’Arctique. Elle avait surgi comme ça, sans prévenir. Fille d’un expert d’art originaire d’Arrowsic ayant déménagé à New-York, celui-ci s’était installé dans sa ville natale pendant un an dans le but d’effectuer quelques ventes à de notables clients habitant les grandes villes alentours. Sa mère tenant une boutique d’Antiquités dans la petite ville, Helena était restée quelques années, histoire de faire quelques études. Rudy avait eut énormément de mal à séduire la demoiselle. Il avait d’abord essayé le garçon viril, qui colle des baignes aux pauvres types de la fac. Il l’avait suivie dans quelques cours, se cachant en haut de l’amphithéâtre en faisant semblant de lui rentrer dedans à la sortie de leur classe. Il l’avait invitée à quelques soirées, l’attendant des heures alors qu’elle ne comptait pas mettre ne serait-ce qu’un pied à ces réunions de jeunes ivres obscènes. Finalement, il avait réussi à lui payer quelques pintes, un soir où à sa grande surprise, elle avait franchi le pas d’un pub où la demi-finale du superbowl enflammait toute la ville. Il l’avait réellement emballée alors qu’il se cachait pour lire un Dostoyevski à l’abri des regards pendant qu’elle fouillait les rayons de la bibliothèque à la recherche d’Anna Karénine. Rudy comprit ce jour-là qu’il ne suffisait pas de faire le con pour impressionner une fille. Et à partir de ce merveilleux déclic, il sortit avec Miss Helena. Elle était concrètement tout ce dont il pouvait rêver. Les premiers mois, il se baladait fièrement, la tenant par le bras, torse bombé. Il présentait sa conquête à tous ses amis, l’air hautain, arborant un sourire transpirant l’égo. Tous les ensembles sexys de sa boutique lui allaient à ravir, et elle ne grognait pas quand il y avait un match de football à la télé. Les premiers mois furent excitants, et puis tout commença à s’effondrer tout doucement. Le problème d’Helena, était qu’elle remettait tout en cause. Notamment les affirmations de Rudy. Elle lui tenait tête, brave et fière. Ils se disputaient, ils commençaient à se haïr. Une douce haine qui se faisait toute petite lorsqu’ils se trouvaient en train de froisser les draps de l’appartement de Rudy. Et puis quand l’un quittait le lit conjugal, ça repartait, encore et encore, jusqu’à l’aurore. Lui refusait qu’on puisse souligner ses défauts de la sorte. Jaloux, vaniteux, égoïste, absence de responsabilités. Ca fusait dans tous les sens. Bourgeoise, hautaine, susceptible. Il en avait marre de ses excuses trouvées sur internet. Il avait trouvé ce manège très amusant au début, c’était devenu un tourment. Son équilibre était bousculé par cette nana qui questionnait tout, qui lui reprochait trop. C’est terrifiant, de bousculer la vie de quelqu’un. Surtout la vie de Rudy.
Alors il a fallu que tout se termine. Ils se dirent au revoir, sans pouvoir expliquer le pincement qui déchira leur coeur respectif à cet instant. Un souffle glacé avait pénétré les veines de Rudy. «
On aurait pu tout faire ensemble. On aurait été les rois du monde. On aurait méprisé notre avenir, et on aurait vécu notre amour naïf chaque jour comme s'il avait été le dernier. Mais non Helena, tu m'as poussé violemment face à la réalité, à l'injustice des sentiments. Je te hais. », qu’il pensait. Il priait pour que ses douces mains soient en train de lui arracher la tête, pour qu'elle pleure toutes les larmes de son corps, pour qu'elle souffre. Ô douce Helena. Il souhaitait presque sa mort en cet instant. Il voulait la punir pour l'empêcher de trouver le sommeil en cette chaude nuit d'été. Helena, il voulait lui enfoncer un pieu dans le cœur, l'étrangler jusqu'à lui retirer ton souffle, succulent, et arracher la peau douce à ce corps cruel et médiocre. C'est facile de s'y arrêter, sur les défauts, pour claquer la porte après un long débat sur la potentielle cruauté qui émane de lui Coup de poker, quelques mois plus tard, Helena finissait à nouveau dans le foyer Gavennham. Chez Lenny. Le frère avait pris possession de la douce pupille. Ca n’avait pas duré longtemps, juste assez pour rendre presque fou Rudy. Il n’en voulait pas à son frère. Il savait que Lenny n’était pas amoureux d’Helena. Il se fichait de cette relation platonique, fade et insignifiante qui les liait. Ce qui rendait fou Rudy, c’était les insultes, les horreurs qu’elle racontait à Lenny sur son compte, tandis que ce dernier faisait le transfert jusqu’à son cadet, d’un air totalement naturel, comme s’il venait annonçait qu’il allait pleuvoir. Et malgré le fait que Rudy détestât encore ses airs de bourgeoise, ses cheveux pleins de pellicules, sa silhouette difforme, son mauvais caractère, ses gouts de chiottes, il détestait encore plus être amoureux d’elle. Sauf qu’un jour, la bourgeoise bien née se transforma en véritable hippie anti-consumériste et s’engagea dans une ONG à l’autre bout du monde. Concrètement, la bourgeois bien née prit l’avion et quitta Arrowsic. Rudy ne put rien y faire, d’autant qu’il avait appris la nouvelle par Lenny vingt quatre heures après l’heure prévue d’arrivée de la bourgeoise bien née. Dévastation suprême. Pendant deux semaines, Rudy resta cloitré chez lui, regardant
Love Actually et écoutant Avril Lavigne en s’empiffrant de glaces Ben&Jerry’s. Lenny lui apportait tous les jours de quoi le détendre à sa manière (du simple joint au bang), le fournissait en glaces et lui écrivait des numéros de téléphones de filles de sa classe sur le frigo. Il lui offrit un petit chat, formidablement nommé
Le Chat -ou
Minou selon les jours. Rudy était devenu une vieille fille.
Et Rudy était resté une vieille fille. Impatient, égoïste, et vaniteux, il s’était mangé les ongles à force de regarder la filmographie de Richard Curtis. Néanmoins incarner un Hugh Grant gentleman Premier Ministre perdu dans sa quête amoureuse lui avait paru être un projet d’avenir rentable et passionnant. Armé de ses pulls cintrés, il s’était investi désormais au conseil municipal de la ville et assistait aux séances, fait permis par le papa de la fonction publique. Il regardait les débats s'emporter sur la question du pot de fleur de la fontaine centrale, et ses yeux pétillaient lorsque deux retraités en venait aux mains concernant les nouveaux horaires d'ouverture du musée de la pantoufle. Il aimait ça. Il voulait juste se faire remarquer, attirer les filles pleines d’ambitions et gonfler son égo en augmentant sa jauge de street cred. Concrètement ça marchait moyen, surtout qu’il n’avait pas stoppé ses vices dont celui de cramer des joints avec son frère, et de mourir sur son canapé devant Gossip Girl, ce qui lui ramollissait dangereusement le cerveau aux gouts de ses tisanes
Digestion tranquille. Cependant il avait établi un plan pour mettre
sa boutique -dans sa mégalomanie il se rêvait propriétaire de tous les strings d’Arrowsic tel un Chuck Bass pleins aux as- au centre de la stratégie de reconstruction de la ville du maire Stevenson. Le statut du riche prince charmant dégotant un stage à la mairie était à porté de main, décidé à reconquérir tous les petits culs enfournés dans les ficelles de sa multinationale. C’est sûr qu’il a pété une durite.