« Le temps guérit toutes les blessures. Tous autant que nous sommes nous voulons plus de temps. Du temps pour se relever, du temps pour grandir, du temps pour lâcher prise. Du temps. »

→ It's my heart beat, it's getting much louder my heart beat, is stronger than ever I'm feeling so alive.

Encore une fois. Ça avait encore recommencé. Ces éternelles disputes avec ma sœur Sheila m’épuisaient constamment, et me renfermaient sur moi-même. On se disputait souvent, sans doute parce que nous étions complètement différentes l’une de l’autre. Sheila, elle était belle, elle était intelligente, elle était drôle, elle avait beaucoup d’amis, elle avait le monde à ses pieds, et moi, je n’étais qu’une petite tâche, un petit être insignifiant des autres, qui passait son temps à dessiner dans son coin. J’en avais marre qu’elle prenne ma place, qu’elle soit la vedette, et qu’elle me cache aux yeux des tous. Et je le lui reprochais souvent, mais elle continuait à se faire remarquer. Au fond, elle avait toujours été comme ça, et je ne pouvais pas lui en vouloir d’être ce qu’elle était. J’étais jalouse, extrêmement jalouse, mais je ne disais rien, car je n’étais pas le genre de filles qui s’exprimaient sur tous les toits. J’avais toujours été la fille qu’on ne remarquait pas, et qu’on laissait dans son coin, mais qu’on trouvait tout de même gentille. Voilà ce que j’étais : un minuscule bout d’être humain. Mais moi, ce n’était pas ce que je voulais. Ce que je voulais, c’était être sous les projecteurs, sous la lumière, sous le regard de tous. Et, du haut de mes cinq ans, je rêvais déjà de grandeur et de célébrité, du haut de mes cinq ans, je commençais déjà à penser comme une idiote, que j’allais faire quelque chose de grandiose dans ma vie. « Tu veux jouer avec nous ? » Un garçon, brun, impeccablement habillé, et plutôt mignon, je devais l’avouer, se tenait devant moi, tout souriant. Je ne savais pas pourquoi, mais mon cœur se mit à battre à une vitesse folle. Alors je lui souris timidement, heureuse que quelqu’un soit venu me parler. « Oui ! Vous jouez à quoi ? » « A chat bougie ! » Je souris. C’était mon jeu préféré. C’est comme ça que j’ai commencé à me socialiser et à me faire des amis. Grâce à lui. Il s’appelait Raphaël. Il fut mon premier coup de foudre. Certes, nous étions beaucoup trop jeunes pour comprendre ce qu’il nous arrivait, mais en tout cas, je l’aimais beaucoup. Et je crois que je garderais toujours un bon souvenir de lui. Et puis, au fur et à mesure que le temps passait, je commençais à m’épanouir, et à me faire quelques amis. Comme Nathanaël, par exemple. Il y avait quelque chose en lui qui me fascinait tellement. Il n’était pas très apprécié des autres, et je me suis dit que j’allais lui parler, parce que j’étais dans la même situation que lui quelques mois auparavant. Je l’aimais bien. Oui, je commençais vraiment apprécier ma petite vie, je sortais enfin de l’ombre de Sheila, même si celle-ci restait tout de même bien devant la scène. Mais, quelque chose me manquait. Ce n’était pas suffisant, à mes yeux. Je voulais plus. Je voulais la gloire. Je voulais la célébrité. « Chers auditeurs, aujourd’hui est un grand jour. Aujourd’hui une agence de mannequin reconnue va venir à Arrowsic pour chercher quelques potentiels mannequins. Alors mesdemoiselles, faites-vous belles ! » A ces paroles, je sautais de joie. J’avais quinze ans, à présent, et je rêvais de devenir mannequin. Tous les soirs, je regardais les magazines avec beaucoup d’attention et d’admiration. C’était ce que je voulais faire. J’étais faite pour ça, je le savais. Pour moi, c’était l’occasion à ne pas manquer. Il fallait maintenant que j'obtienne l’accord de mes parents. « S’IL VOUS PLAAIT ! MAMAN ! PAPA ! Vous savez que c’est mon rêve ! S’IL VOUS PLAIT, laissez-moi aller à ce casting ! » Face à mes caprices, mes parents avaient gentiment céder, ils ne pensaient pas que j’allais être prise, ils ne pensaient pas que tout cela pouvait réellement arriver. Alors, quand je leur ai dit que j’étais prise et que j'allais aller à New York, ce fut le choc total. En fait, tout cela fut tellement précipité, qu’ils n’eurent pas le temps de se rendre compte de la situation. J’étais déjà dans l’avion quand ils apprirent que je venais de les quitter. Je m’étais envolée pour vivre mon rêve.

→ I could spend my life in this sweet surrender I could stay lost in this moment forever.

New York. La grosse pomme. J’y étais. Je n’arrivais pas à y croire. J’avais l’impression de vivre un rêve éveillé. Mais bon, il y avait toujours quelqu’un pour me faire revenir à la réalité. « Bon Abbey. Aujourd’hui tu vas faire ton premier jour dans notre agence. Mais sache qu’il est toujours bon pour toi de travailler dans plusieurs agences. Pour l’instant on n’en est pas encore là, mais je préfère te le dire tout de suite. Bon allez, on va commencer par une séance photo. » La première séance photo de toute ma vie. Ce fut à la fois génial et intimidant. Mais j’allais m’y habituer, j’en étais certaine. « Alors, c’est toi la nouvelle ? Celle qui vient d’un trou perdu, c’est ça ? » Lui, c’était le photographe. Il était vraiment charmant, je devais l’avouer. Je pinçai les lèvres, avant de lui répondre : « C’est bien ça. Et toi c’est… ? » « Chaz, enchanté. » Il me lança un regard plein de sous-entendus. Ah, j’adorais ce métier ! Et j’avais hâte de voir ce que l’avenir me réservait. Revenons-en à Chaz. Il était vraiment très beau et il m’attirait. Et je crois que c’était réciproque, car nous nous voyions souvent pour coucher ensemble. Oui, je prenais du bon temps, vraiment. A côté, ma carrière décollait. Je commençais à faire connaitre mon nom dans ce monde impitoyable et fabuleux. Mon emploi du temps est rempli. J’étais heureuse. Oui, j'adorais ma vie. Tout allait parfaitement bien. Mais pas pour très longtemps. « Bon on y va Abbey ? » « Oh non, je n'ai pas très envie ce soir. Il y a une séance photo demain. » « Oh allez viens, ça ne va pas te faire de mal ! Je vais te faire découvrir plein de trucs, tu verras ! » « Bon, d'accord. » Elle, elle s’appelait Joy. Elle, elle m’a entrainé dans ma descente aux enfers. C’est à cause d’elle que j’en suis là à présent. Elle m’a détruite, elle m’a essoufflé jusqu’au dernier souffle, elle m’a épuisé jusqu’à la dernière goutte. J’étais comme son jouet, sa poupée Barbie. Et moi, évidemment, naïve comme j’étais, je me laissais faire. Elle a commencé doucement, en m’amenant en boite. Enfin doucement n’était pas tellement le mot approprié, puisque je fis un coma éthylique ce soir-là. Et puis elle a commencé à me faire fréquenter des garçons. Bon ça, encore, ce n’était pas très grave. Je couchais à droite à gauche, mais c’était plutôt amusant à vrai dire. Et puis elle a commencé à me droguer. Et c’est à partir de ce moment-là que j’ai divagué. A la place de me concentrer sur ma carrière, je buvais, je sortais, je flirtais, et je me droguais. Je n’avais pas vu venir ma perte. Je pensais que Joy ne voulait que mon bien. Je me trompais largement. Je m’étais fait dupée. Plus personne ne voulait de moi aux castings, ils disaient que j’étais trop frivole et pas assez concentrée. Et à l’époque, c’était le cas. Ma carrière était définitivement finie. Alors, en dernier recours, j’ai commencé à me faire vomir. Deux fois, trois fois, et puis après je n’ai plus compté. C’était tellement horrible, mais je le faisais parce que Joy me disait que je n’étais pas assez mince. Et je voulais réussir. Mais c’était trop tard. J’étais déjà tombée bien trop bas. Ma santé commençait à vaciller, ma tête ne suivait plus mon corps, j’en avais perdu la raison. J’avais même oublié pourquoi j’étais venue à New York. Alors, j’ai tout arrêté. Tout. D’un seul coup. J’ai tout plaqué. Tout quitté. Meurtrie, détruite et fragilisée pour toujours. Et voilà comment mon rêve s’est transformé en cauchemar.

→ If I don't cry, do you think I don't feel ? If I look away, it doesn't mean I don't see.

Arrowsic. Me voilà à Arrowsic. Tout sonne nouveau, tout sonne comme un nouveau départ. Je souffle un coup. Je n’arrive pas à y croire. Je suis bel et bien là, plus meurtrie que jamais. J’ai peur, oui j’ai peur. Je ne sais pas ce qui va m’arriver, ici. Je ne sais pas ce que je vais faire de ma vie, à présent que j’ai tout perdu. Tout semble si injuste. La vie est injuste. Je dois tout recommencer, et essayer d’aller mieux. C’est ma seule priorité, en ce moment. Je ne veux plus jamais tomber dans le monde de la débauche, c’en est fini à présent. Pour toujours. Alors je souris. J’essaye de manger, un peu. Parce qu’il le faut bien. Il faut bien que je mange, si je veux rester en vie. Oui, je le veux. Enfin je crois. Je sais que j’ai tout perdu, mais il y a quelque chose en moi, une petite chose infime, qui me dit de rester sur cette terre. Je dois faire quelque chose de ma vie. Oui, mais quoi ? Je suis complètement perdue à présent. Je fais semblant d’aller bien, je fais semblant de faire comme si je guérissais, alors que ça n’est pas le cas. Je suis devenue beaucoup trop fragile et sensible. La moindre petite chose peut me faire basculer. Et ça me terrifie complètement. Je sais à quel point je peux être influençable. J’ai peur, parce que je suis faible. Et je crois que je l’ai toujours été, sauf que je ne m’en rendais pas compte. Pourtant, il y a des choses qui arrivent à me faire sourire, dans cette vie de miséricorde et de désespoir. Oui, des amis, des anciennes connaissances, des endroits à Arrowsic, des endroits où je me sens bien. Arrowsic m’est bénéfique, je le sais. C’est le seul endroit où je peux être heureuse. Je ne veux plus jamais quitter ma terre natale. C’est ici que je peux être moi-même, et réapprendre à vivre. Alors je garde espoir. Parce que c’est tout ce qui me reste. De l’espoir.