« You gave me a forever within the numbered days, and I’m grateful. »
ONELe vent ébouriffe mes cheveux, le bruit que fait ce même vent m'apaise. Il est capable de m'apaiser à n'importe quel moment de ma vie. Coupé du monde un instant, voilà comment je me sens, voilà ce que je suis. Du haut de la minuscule colline où je suis assis, on voit très bien les quatre maisons un peu plus basses, perdues dans la plaine où personne ne va jamais. J'arrive à voir mon grand-frère qui sort de la maison. J'arrive à le voir tomber à genoux dans l'herbe brûlée par le soleil. Flynn ne fait jamais ça, à moins qu'on l'y force, à moins que quelque chose n'aille pas. Je me lève d'un bond pour dévaler la colline. «
Flynn ! Qu'est-ce que tu fais ? » Il me regarde, ou plutôt me dévisage. J'ai toujours eu plus ou moins peur de mon grand-frère alors, sans un mot de plus, je détourne le regard et entre dans notre maison, endroit absolu de paix, sauf ce jour-ci. J'entends ma mère hurler, agoniser et, sans que je ne le vois venir, mon père me prend dans ses bras, me serre comme s'il allait me perdre. «
Je ne vais pas partir, papa. » Une goutte d'eau glisse sur ma joue. Je comprends en relevant la tête vers mon père que ce n'est pas qu'une simple goutte d'eau. Et que, d'après une fatalité certaine, c'est un liquide salé. J'essaye de me dérober des bras de mon père pour aller consoler ma mère et c'est là que je vois exactement ce que je ne voulais jamais voir. Ma petite-sœur, allongée sur le canapé, belle comme un cœur. Elle semble dormir mais ne respire plus. Elle a ce visage d'ange qui nous ferait tous croire en Dieu. Lily, elle est douce, le sourire aux lèvres, mais en réalité, elle n'est déjà plus là. Le corps est ici, mais plus l'esprit, plus l'âme. Je m'étouffe dans mes propres sanglots et serre le bras de mon père, trop fort sûrement, mais il me comprend. «
Ça va aller, Shea. Crois-moi mon amour. » Ça ira, dans des années, des siècles, mais ça ne marchera plus jamais comme avant, je le vois dans le regard perdu de ma mère assise en boule près du canapé. Une douce folie s'empare d'elle, mais elle me sourit. Elle voudrait me cacher la vérité, seulement, c'est trop tard maintenant. Il faut que je sorte entendre le bruit du vent. Alors je m'y précipite, je monte la colline et y retrouve mon frère. «
On va devoir aider maman, d'accord Shea ? » Je hoche la tête et à ce moment même, je comprends que ma vie à partir d'aujourd'hui, à partir de mes douze ans, ne sera plus jamais la même.
TWO«
Arrête ce bruit, Shea. » Durant un instant, je me demande de quoi il parle, puis j'entends le bruit. C'est moi qui le fais en frottant mon jean contre le banc sur lequel nous sommes assis depuis presque une heure. J'aurai pensé les bancs des tribunaux plus confortables. Avec Flynn, on commence à bien connaître l'endroit, à avoir l'habitude d'être ici, parce que nos parents sont en instance de divorce, ça devait arriver. Depuis que Lily n'est plus là, l'harmonie qu'il y avait entre nos parents s'en est allée aussi. Comme si Lily était celle qui maintenait leur couple en vie, ce que je veux bien croire. Aujourd'hui, c'est l'ultime jour où ma famille est entière, à une personne près. C'est le dernier jour où on résume quel meuble est à qui, où on se doit de partager quelques trucs et les enfants. «
T'as toujours plus aidé maman que moi. » Flynn n'a pas l'air de comprendre le sens de mes paroles. Ce que je veux qu'il comprenne, c'est que j'ai la sale impression qu'on va nous séparer malgré nous. Je sais qu'il ne veut pas y croire, mais j'aimerai qu'il se prépare au pire avec moi au lieu de me laisser seul, face à mes démons. Je hausse les épaules et il soupire, ce qui me fait bêtement sourire, quand bien même la situation ne s'y prête pas. La porte massive en bois face à nous s'ouvre pour laisser place à nos parents et leur avocat respectif. Flynn et moi, nous nous levons en même temps, comme si nous n'étions qu'une seule et même personne. Ma mère se dirige vers mon aîné et je ferme les yeux pour nier l'évidence. Je murmure un "je le savais" que personne n'entend mis à part moi, et l'avocat de ma mère apparemment. «
Flynn on y va. » Sa voix glaciale me tue sur place. Je voudrai l'empêcher de m'enlever mon frère, il le voudrait aussi, mais personne ne bouge. «
Attends et Shea ? » Flynn m'attrape par le bras, il me le serre comme si sa vie et ma vie en dépendaient. «
Il vient avec moi. » Je connais Flynn par cœur, autant que je connais ce regard mauvais qu'il fait à nos parents. Il se retient de frapper quelqu'un, ou quelque chose, parce qu'il est comme ça Flynn, brutal et directe. Mon père regarde son fils aîné, avec un air désolé, empli de tendresse, mélangé à de la tristesse. Son regard est sincère. Et il est sincèrement désolé de devoir le laisser avec notre mère. Aucun de nous deux ne voulait se retrouver avec elle, parce qu'elle est devenue superficielle et froide. «
Allez vous faire foutre. » Et mon frère s'efface, s'enfonce dans le couloir. La main de mon père s'abat sur mon épaule. La famille Haner n'existe plus à présent.
THREEJe serre mon père dans mes bras. Je n'ai jamais autant aimé une personne. Il desserre l'étreinte et me donne cette tape dans le dos qui est une réelle manie chez lui, son sourire pourrait presque me faire croire qu'il est heureux. «
Tu sais ce que j'en pense, Shea. Mais j'ai pas le droit de te retenir, t'es un grand garçon après tout. » Ouais. Cette fois, je pars. A peine dix-neuf ans me direz-vous, mais je veux réussir ma vie, je veux faire en sorte que mon nom devienne un nom que l'on connait. Que les Haner ne soient plus jamais dans l'ombre. Je veux devenir quelqu'un et ça, ça se prépare tôt.
***
La ville est belle, illuminée de mille feux, j'ai l'impression d'être un vrai gosse. Ce que je suis encore d'un côté. Arrowsic. Voilà là bête. Enfin la bête, c'est une façon de voir les choses. Arrowsic, c'est loin d'être une grande ville des Etats-Unis, au contraire même. Mais c'est la ville parfaite que je voulais trouver. Elle est petite, curieuse, beaucoup trop curieuse même à ce qu'on dit, pas super riche, et elle a cette école de commerce que je recherchais. Cette fois, je suis totalement seul, mon père n'est plus à mes côtés, mon frère a disparu du monde et ce, depuis bien un an et demi, ma mère est devenue une véritable inconnue aux yeux des Haner. Et moi, je suis là, prêt à honorer le nom de mon père. Je suis planté sur un trottoir de la ville, à regarder les voitures défiler, certaines me klaxonnent comme pour me réveiller, mais je ne fais rien, je ne bouge plus. Mon sac posé maladroitement sur mon épaule, j'observe. J'ai pas de fric, ou très peu, je ne sais absolument pas comment je vais m'en sortir, où est-ce que je vais trouver de l'argent pour payer mes études, mon appartement, la bouffe, l'eau et l'électricité, mais tout ce que je sais, c'est que ma vie commence ici.
FOURL'ambiance de la chambre redescend à la normale. Je fais glisser mes doigts sur les courbes élancées de Jamie, elle frissonne et un petit rire incontrôlé à peine audible se fait entendre. J'aurai voulu plus de Jamie ce soir-là, mais elle sait ce qu'elle fait. Elle ne m'offre pas son corps par gentillesse. Trop rapidement, elle m'échappe, se lève et sort du lit. Je reste allongé, en profite pour scruter les moindres parties de son corps. Corps que j'aime plus que tout au monde et elle le sait. «
Tu me laisses ? » Son regard posé sur moi me donnerait presque froid au dos. Jamie, c'est pas le genre de fille qu'il faut faire chier, sinon elle n'hésite pas à vous coller une balle entre les deux yeux, mais j'en ai pas peur, parce qu'elle m'aime bien au fond. Elle s'habille devant moi, comme pour me faire comprendre que ce qui vient de se passer n'arrivera plus jamais. Cette façon qu'elle a de me rendre fou, elle seule est capable d'y arriver aussi bien et je la déteste pour ça. «
On avait un marché, Haner. » Je soupire, détourne le regard et hausse les épaules. Je n'aurai jamais dû faire ça, parce qu'en une seconde, Jamie se retrouve devant moi, les yeux sombres, prête à me tuer d'une main. «
Je vais le faire ton truc, mais je ferai pas ça gratuitement. » Elle me rit à la face, c'est un rire froid et presque mauvais. Je hausse un sourcil, fais mine de ne pas comprendre pourquoi elle fait ça, alors que je sais très bien qu'elle me hait à ce moment précis. «
On vient de coucher ensemble, c'était ça ta motivation. » Jamie me perverti, lentement, mais sûrement à quelque chose d'extrêmement mauvais. Le problème, c'est que j'ai l'impression d'aimer ça. Non pas que ça me plaise de jouer un rôle dans la mafia, mais l'argent, le respect, c'est quelque chose que tout homme aime avoir. J'ai déjà ça, mais j'en veux plus, toujours plus et encore plus. Je m'étire longuement, laissant Jamie s'impatienter encore un peu avant de caresser de la paume de ma main sa cuisse vêtue d'un jean noir. «
Tu te trompes, là. Si on a couché ensemble, c'est pour me convaincre de transporter la marchandise. Mais une fois que j'aurai fais ça, j'aurai besoin de toi, moi aussi. » Presque élégamment, je lui fais comprendre que j'aurai besoin de son corps. Jamie fait la moue, mais au fond, je sais qu'elle ne refusera pas. Parce que ce lien qui nous unis, il est fort, excessivement fort et Jamie, c'est ce qui lui faut pour la tenir en haleine, je le sais aussi bien qu'elle. Alors, je lui souris, de ce sourire qu'elle adore et elle se contente de lever les yeux au ciel. «
Fais pas tout foirer demain, pigé ? Sinon t'auras rien de plus que ce soir. » Et elle franchi le cadrant de la porte de cette petite chambre d'hôtel, laissant raisonner le claquement de ses talons dans le couloir. Dans un soupire, je m'étire de nouveau, me laissant divaguer et rêver. J'avais promis à mon père de devenir quelqu'un de bien, mais je suis en train de faire le contraire. Shea, l'enfant courtier, devient un membre de la mafia de plus en plus demandé.