" Viens ma puce, arrête de dessiner un instant, je vais te montrer quelque chose." Je repose mes pinceaux sur mon petit bureau d'enfant de 6 ans et sourit à ma mère, laissant le dessin que j'avais commencé à l'abandon pour quelques temps. Ma mère me prit la main, un sourire joyeux sur son doux visage et elle m'entraîna dans le jardin. Un chiot au regard perdu attendait, assis près du transat. Il regardait partout autour de lui. " Joyeux anniversaire ma chérie, il est pour toi." Je lançais un regard incrédule au chiot, puis à ma mère et mon père avant de crier de jouer et de sautiller, provoquant des petits sauts du côté du chien aussi. Je m'approchais doucement de lui et posais ma main sur sa tête, son poil était doux et il me lécha doucement la main. " Merci maman, merci papa." Je leur lançais un sourire ravi, et reportais mon attention sur le chien. Des mois que je quémandais à cri et à coeur un petit animal de compagnie. " Tu t'appelleras Poppy." Le chiot aboya doucement et se mit à courir dans le jardin, provoquant un petit rire chez moi.

Je me relevais et vins me blottir contre ma mère qui sourit en me serrant contre elle : " J'ai une autre surprise mon trésor." Je la regardais, une moue curieuse sur mon visage enfantin tandis que mon père s'approchait de nous et posait sa main sur son épaule : " Tu vas avoir une petite soeur." Un sourire se dessina sur mon visage. " Je pourrais jouer avec elle et Poppy ? " Je lançais un regard curieux à ma mère et rajoutais : " Mais elle arrive quand ? Elle va venir comment à la maison ? " Mes parents laissèrent échapper un petit rire et mon père ébouriffa mes cheveux bruns, un sourire attendri sur le visage. " Bientôt ma puce, tu verras. Elle arrivera vite et je suis sûre que tu seras une grande soeur fantastique."


" Allez, laisse-moi venir avec toi. S'il te plaît." Du haut de mes 14 ans, je lance un regard suppliant à Brane, le fils de la meilleure amie de ma mère. Je le connais depuis toujours. Après tout, ma mère et sa mère sont toujours fourrées ensemble quand elles ont du temps libre, et forcément, nous sommes là aussi. Il soupire et secoue la tête en riant devant mon air désappointé : " J'ai pas envie que tu sois dans mes pattes." Il est plus âgé que moi, de deux ans seulement mais il aime me le rappeler. " En plus, Lily va encore faire la gueule si tu ne l'emmène pas." Il me lance un regard triomphant, il a sorti l'excuse infaillible : Lily. Ma petite soeur, ma meilleure amie, ma confidente mais aussi celle qui sait me faire sortir de mes gonds comme personne. Elle est plus petite que moi et elle veut toujours être collée à moi, un peu comme moi avec Brane. Je lui décroche à mon tour un sourire, narquois celui-là : " Elle est chez une copine cet après-midi. Allez Brane. Je me ferais toute petite." Aujourd'hui, il sort avec ses potes à la fête foraine que la ville met en place chaque année et je rêve d'y aller avec eux. Je commence à grandir, tout doucement et forcément, les sorties avec papa et maman m'amusent moins. Et maman ne me laissera jamais y aller seule avec mes copines. Mais s'il y a Brane ... Il soupire de nouveau et m'attrape pour me chatouiller comme il le fait si souvent : " Arrête ! " je hurle, en m'éclatant de rire et en me laissant choir dans mon jardin. Il m'aide à me relever et il finit par sourire : " Bon ok tu viens. Mais tu ramène pas toutes tes copines. J'ai pas envie d'avoir la honte avec vous, bande de morveuses." Je lui saute dans les bras en hurlant et lui colle un gros bisou sur la joue : " Merci, merci. Je t'adore." Brane, c'est un peu comme mon meilleur ami. Je n'imagine pas ma vie sans lui.


" Lily, viens là." J'attire ma petite soeur dans ma chambre et la serre contre moi. Les larmes coulent le long de son visage tandis que je retiens les miennes. Je n'ai pas envie de pleurer devant ma petite soeur, je dois être forte pour elle. En bas, les cris de nos parents se font de plus en plus fort et j'installe Lily sur mon lit tandis que je met la musique pour couvrir les éclats de voix. Nos parents divorcent. C'est tombé sur nous comme ça, sans que rien ne le laisse réellement présager. Les raisons ? Un père de plus en plus absent pour son boulot, une mère qui n'en peut plus et qui a envie de retrouver la foi en l'amour, des tromperies de la part de mon père. J'ai 15 ans et ce divorce semble être la fin de mon monde, de ma vie. Mais je le supporte mieux que Lily qui du haut de ses 9 ans n'imaginait pas du tout un jour voir ses parents se quitter. " On restera toujours ensemble, hein ? Tu me laisseras pas ? " Je secoue la tête et dépose un baiser sur son front. " On va rester toutes les deux Lily. Je te laisserais jamais, compte sur moi." Ma petite soeur est toute ma vie, j'ai tendance à la protéger de trop, je le sais. Elle a beau m'agacer parfois à toujours vouloir tout faire avec moi, je l'aime plus que tout. " Viens, on va prendre l'air. On va chez Brane." Elle esquisse un sourire dans ses larmes et se lève. Brane est celui chez qui je me réfugie lorsque je vais mal, lorsque j'ai besoin de prendre l'air. J'aimerais qu'il me regarde différemment maintenant mais j'ai toujours l'impression d'être plus comme une petite soeur chieuse pour lui qu'une jeune femme qui grandit. Je sens bien que depuis quelques temps, l'amitié que j'avais pour lui a changé, s'est développé. Je sens mon coeur battre plus fort lorsqu'il est prêt de moi, je rougis lorsqu'il s'approche trop près. Je me sens stupide mais je ne contrôle plus rien. Quoiqu'il en soit, il est toujours celui sur lequel je me repose, et c'est ce dont j'ai besoin aujourd'hui.


" Je suis plus une enfant Brane, arrête de me traiter comme tel." Je plante mon regard dans le sien et je sens qu'il est décontenancé par mon attitude. Quand il est venu me chercher pour m'emmener avec lui à la fête d'anniversaire d'un de ses amis, j'ai bien vu que mon maquillage et la petite robe noire que je portais l'avaient surpris. J'avais relevé mes cheveux et je devais avouer que comme ça, je faisais déjà plus âgée. Et pour preuve, le regard de ses amis rivés sur moi. Ils me connaissaient pour la plupart depuis longtemps aussi et ils avaient bien failli ne pas me reconnaître. Brane me refusait une danse, prétextant qu'il préférait danser avec des filles de son âge mais je sentais que cette excuse n'était qu'un prétexte pour éviter de se rapprocher de moi. Il secoua la tête et soupira : " Chloe, pour moi, tu seras toujours une enfant." Il sourit, tentant d'échapper à mon regard et blessée dans mon orgueil, j'attrapais son visage de mes mains fines et posais mes lèvres sur les siennes. Je restais ainsi quelques secondes et je sentis rapidement sa bouche répondre à mon baiser. Ses mains se posèrent sur ma taille, m'enserrant et m'approchant plus près de lui tandis que je nouais mes bras autour de son cou. Le baiser échangé devint plus fort, plus fougueux, nous laissant à la fin presque essoufflés, surpris mais heureux. Du moins pour moi. Je crois que j'attendais ce baiser depuis longtemps déjà. J'esquissais un petit sourire et lui lançais un regard provocateur : " Pas mal pour une enfant, non ? " Son regard avait du mal à se détacher de moi et j'en profitais pour sceller de nouveau mes lèvres aux siennes. J'entendis quelques applaudissements autour de nous, des rires mais je m'en fichais. J'avais l'impression d'être dans un autre monde, notre monde à lui et moi, à nous.


" Tu vas vraiment partir ? Encore " Je le fusillais du regard tandis qu'il rangeait précautionneusement ses vêtements dans sa valise. Il soupira et se retourna, s'arrêtant un instant pour me faire face. " Chloe .. " Je m'écartais brusquement lorsque ses mains voulurent se poser sur mes épaules et secouais la tête vivement : " Non, non. Y' a pas de Chloe qui tienne." Je soupirais et fis un brusque mouvement de la main avant de reprendre : " J'en peux plus de ton absence, j'en peux plus de te voir que quelques semaines par an. Je veux plus de ça, tu comprends ? J'ai besoin de plus, Brane." Il voulut parler, répliquer mais je l'en empêchais, continuant sur ma lancée : " Qu'est ce qui t'attire comme ça hein ? Qu'est ce que tu veux prouver ? A qui ? Tu veux prouver à un mort que tu peux être aussi héroïque que lui .. Mais il est mort. Mort. Nous, on est là, nous on t'aime et on subit chacun de tes départs." Je m'arrêtais, essoufflée et me laissais choir sur le sol. Je n'en pouvais plus. Des années que c'était la même chose. Il partait, je l'attendais. Chaque jour passé loin de lui me semblait toujours plus dur, plus long. Le vide en moi ne faisait que grandir un peu plus. Et lorsqu'il revenait, la joie, le bonheur qui explosait, l'envie de croire qu'il ne repartirait plus cette fois. Qu'il allait me proposer enfin la vie commune, le mariage, n'importe quoi tant qu'on serait tous les deux. Mais non. Il repartait. A chaque fois. Et cette fois encore, il allait me laisser seule. " Cette fois, je ne serais plus là à ton retour. Et je suis sérieuse." Plusieurs fois, je l'avais menacé de ne pas l'attendre mais en vain. Je retombais à chaque fois dans ses bras, incapable de cesser de l'aimer. " Je t'ai jamais menti Chloe, tu savais que ça serait comme ça. Je ne peux pas te promettre que quand je reviendrais, je ne repartirais plus. Je peux pas ... Comme je peux pas te demander de m'attendre si tu ne le veux plus." Agacée, je quittais la pièce, sa chambre, son appartement et sa vie en même temps.


" Oui, bien sûr. Laissez-le moi. Je vous appelle demain pour vous dire comment il supporte le traitement." Je souris au jeune homme qui venait de me laisser son chien. Une lueur inquiète brillait dans son regard et lui donnait l'air d'un enfant égaré. " Vous êtes nouveau ici, non ? Je ne vous ai encore jamais vu dans le coin." Il sourit et hocha la tête : " Oui, je suis arrivé il y a peine deux mois. Et vous, vous faites ça depuis longtemps ? " Il me montra le refuge d'un signe de tête et je souris en hochant la tête : " Quelques mois seulement. Je travaillais dans un cabinet avant mais je rêvais d'ouvrir mon refuge. Ici, je peux accueillir les animaux perdus ou abandonnés et les soigner en même temps. Et soigner aussi les animaux domestiques. Je fais les deux et j'adore ça." Il m'écoutait attentivement et sourit lorsque je finis de lui raconter l'histoire de mon refuge. Je m'étais battue des années pour ça et j'étais fière d'avoir réussi, d'avoir pu faire ça toute seule. Ce refuge avait été mon pilier lorsque j'avais appris la mort de Brane. Après notre dernière dispute, son départ et nos adieux, je n'avais plus eu de nouvelles de lui. D'habitude, il m'écrivait. Toujours. Pas une semaine ne passait sans un mot de lui, une lettre, une carte postale. Là, rien. Et au bout de quelques mois, la nouvelle tomba : il avait été tué. Les mois qui suivirent avaient ressemblé à un cauchemar, à l’apocalypse. Comment se relever quand on apprend la mort de l'homme qu'on aime, de celui avec qui on voulait passer chaque jour jusqu'au dernier ? Comment apprendre à respirer de nouveau, à rire, à aimer, à s'amuser ? Tout me semblait impossible. Alors, je me suis noyée dans le travail et le refuge m'avait été à tenir et à m'accrocher à quelque chose. " Au fait, moi c'est Matthew." Il me tendit la main, me sortant brutalement de mes sombres pensées et je lui souris : " Chloe. Enchantée." Il hocha la tête et je sentis son regard se poser sur moi : " On se voit demain alors ? Je viendrais chercher Teddy." Je hochais la tête, et le laissais partir.


" Je suis content que tu aies accepté mon invitation. J'ai bien cru que je n'aurais jamais la chance de dîner avec toi." Matthew me sourit et je haussais doucement les épaules en lui souriant : " Tu sais que c'était difficile pour moi. La mort de Brane, l'ouverture du refuge, .." Je baissais un instant le regard avant de le regarder de nouveau et de reprendre : " J'avais besoin de temps. Mais, je suis heureuse d'avoir accepté." Il me prit la main et je sentis une douce chaleur m'envahir. Matthew était adorable. Depuis notre rencontre au refuge, il était venu régulièrement, sous prétexte de son chien pour qui il s'inquiétait, puis ensuite pour me donner un coup de main. Dès le début, j'avais senti que je l'intéressais mais j'avais été incapable de répondre à ses avances. Jusqu'à ces derniers jours où Lily m'avait supplié de lui laisser une chance. Je devais oublier Brane, aller de l'avant. Elle avait raison. Je devais avancer et recommencer. Matthew était la meilleure chose qui pouvait m'arriver.